L’oncle Henri Paul reconnaît bien volontiers sa mauvaise foi. Ce site fait la part belle à Poincaré. Probablement une part trop belle.
Prenons l’exemple de la topologie des surfaces algébriques. Lorsqu’il revient sur sa carrière, S. Lefschetz insiste beaucoup plus sur l’influence d’Emile Picard que sur celle de Poincaré.
Emile est né en 1856 (donc deux ans après Poincaré) et décédé en 1941. Son œuvre est extraordinairement variée. Ses travaux sur les surfaces algébriques sont d’une grande profondeur.
Le premier tome de son livre « Théorie des fonctions algébriques de deux variables », écrit avec G. Simart (capitaine de frégate !) a été publié en 1897, soit à peine deux ans après le mémoire « Analysis Situs » de Poincaré, et deux ans avant le premier complément. Poincaré n’est cité que huit fois. Lefschetz explique clairement que c’est ce livre qui l’a motivé et qu’il a essayé de comprendre, sans y réussir véritablement.
Les liens entre Poincaré et Picard ne sont pas très « cordiaux ». La correspondance contient 14 lettres de Picard, entre 1881 et 1901. Dans les premières, on se donne du « Monsieur et cher collègue » et, une fois qu’ils sont tous les deux à l’Académie des Sciences (1887 pour Poincaré et 1889 pour Picard), on passe à « Mon cher ami » (tout en continuant à se vouvoyer). En 1901, Picard juge utile d’écrire :
Dans cette question des cycles à deux dimensions que nous travaillons tous deux actuellement, je tiens essentiellement à vous dire avec la plus grande sincérité les points que je possédais depuis longtemps et ceux qui ont pu plus ou moins directement m’être suggérés par des conversations avec vous.
Voyez le reste de la lettre.
Il y a clairement une compétition. Amicale ?
Nous avons déjà remarqué que le premier mémoire de Poincaré, lu entre les lignes, contient une première version du théorème de de Rham, mais que tout cela est bien obscur. Il est évident que les chapitres 1 et 2 du livre de Picard sont bien plus clairs et s’approchent beaucoup plus du théorème de de Rham. Quant à la dualité de Poincaré, Picard la démontre en degré 1. Il signale ensuite que Poincaré l’affirme en tout degré, mais ajoute sournoisement que « quelques points » de sa preuve « mériteraient d’être complétés ». Il n’a pas tort.
Henri Paul se sent un peu coupable de ne pas rendre à Picard ce qui est à Picard. Il faut dire que son livre n’est pas non plus très limpide.