Faisceau ou Pinceau
Il est étonnant de constater que dans la terminologie mathématique, un mot peut en chasser un autre, qui est en quelque sorte obligé de déménager sous la pression du nouveau venu. C’est ce qui s’est passé pour faisceau. Une espèce de pression migratoire en mathématiques.
Depuis longtemps, on entendait par « faisceau » un « ensemble de droites, de courbes, de surfaces dépendant d’un même paramètre », c’est tout au moins ce qu’en dit le Littré. Les lycéens étudiaient les faisceaux de cercles, les élèves de classes préparatoires les faisceaux de coniques, et les professionnels les faisceaux de cubiques. Et voilà que la théorie des faisceaux et de leur cohomologie (dont on ne parle pas dans ce cours) a envahi la géométrie algébrique dans les années 1950, en expulsant les « vieux » faisceaux et en les priant de s’appeler dorénavant des pinceaux.
A vrai dire, la définition du Littré n’est pas bonne (mais ce n’est pas ce qu’on attend du Littré en mathématiques). Par exemple, si on considère la famille des tangentes à un cercle, il s’agit en effet d’une famille de droites dépendant d’un paramètre, mais ça n’est pas un pinceau-faisceau car les droites se coupent. Un pinceau-faisceau est constitué par les fibres d’une application rationnelle, par exemple définie sur une surface algébrique, à valeurs dans ${\bf P}^1$. Ce sont des courbes qui sont disjointes deux à deux, tout au moins si on n’y inclut pas le lieu d’indétermination de la fonction rationnelle. Par exemple, l’ensemble des droites du plan passant par un point donné est en effet un pinceau ($y/x = constante$). D’ailleurs, deux poils d’un pinceau sont disjoints, sauf à la base du pinceau où ils sont assemblés.