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Les bons conseils de l’oncle Henri Paul

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Le projet est que chaque article du site (ou tout au moins beaucoup d’entre eux) soit accompagné d’un bouton « Conseil » qui ouvre une page « popup » qui donne un conseil, qui raconte une anecdote etc. On verra plus tard pour la technique.

Les belles histoires de l’oncle Paul rappellent des souvenirs d’enfance à l’un des collaborateurs de Saint Gervais.

Article 1 Groupe fondamental d’une variété polyédrique

Cet article est important — et pas si difficile — mais il faut en relativiser l’intérêt. En principe, il permet de calculer le groupe fondamental d’un polyèdre par générateurs et relations. En gros, il s’agit d’itérer le théorème de Van Kampen. Fort bien, mais à quoi bon ? Au bout du compte, quand dit-on qu’on connaît un groupe ?

On le connaît si on peut en dresser la liste des éléments. Cela s’applique surtout aux groupes finis, certes intéressants, mais pas les plus importants dans le contexte de la topologie algébrique.

Certains mathématiciens pensent que connaître un groupe, c’est en donner un système générateur et un ensemble de relateurs, si possible finis. Ce sont les adeptes de la secte « combinatoire des groupes ». Dans certains cas, ça marche, on peut lire des tas de choses sur une présentation, mais parfois (ou souvent ?), une présentation ne dit pas grand-chose sur le groupe. On fait ce qu’on peut, bien sûr, mais par exemple il est impossible de décider si un groupe donné par une présentation est trivial.

Voici un exemple assez drôle, dû à Jean-François Mestre, René Schoof, Lawrence Washington et Don Zagier, publié dans un journal mathématique unique : « Experimental mathematics », ouvert à la publication d’articles contenant des conjectures, des exemples et… à l’humour. Le titre de l’article est bilingue :

« Quotients Homophones des Groupes Libres, Homophonic Quotients of Free Groups ».

L’article est écrit sur deux colonnes. La colonne de gauche, écrite en français, démontre un théorème pour la langue anglaise. Pour la colonne de droite, c’est le contraire. Le théorème anglais (resp. the French theorem) est le suivant. On considère le groupe $G$ engendré par 26 lettres a, b, …, z et dont les relations sont les suivantes : deux mots sont déclarés égaux si d’une part ils existent en anglais (resp. in French) et si d’autre part ils se prononcent de la même manière, par exemple « buy = by » (resp. « vue = vu ») si bien que « u=1 » (resp. « e=1 »). Alors $G$ est trivial (resp. $G$ is trivial). Les auteurs conjecturent que le groupe analogue pour la langue japonaise est libre de rang 46.

Rubrique 3 Homologie

Le concept d’homologie est sans aucun doute parmi les plus puissants en mathématiques. Mais comment l’expliquer à des non mathématiciens ? Un quotient des cycles par les bords ? Cela n’évoque rien au néophyte.

Jean-Pierre Serre a prononcé un discours à l’Académie des sciences sur les travaux de Henri Cartan, après le décès de celui-ci. Comment évoquer les « théorèmes A et B » de Cartan, qui garantissent l’annulation de certains groupes de cohomologie ? Voici comment Jean-Pierre Serre présenta les choses. Il expliqua que la cohomologie est la différence entre deux choses. La première est « Ce qu’on aimerait faire » et la seconde est « Ce qu’on peut faire ». Alors si on montre que la cohomologie est nulle, eh bien, on est content : on peut faire tout ce qu’on veut.

Les cocycles, c’est ce qu’on veut faire : écrire que $dX=0$, c’est écrire l’équation de ce qu’on veut. Ecrire que $X=dY$, c’est trouver le $Y$ qui répond à notre problème. Au delà du jeu de mots de J.P. Serre, il y a le fait que les groupes de cohomologie mesurent presque toujours une « obstruction » à la résolution d’un problème topologique.

Article 7 Le tore de dimension 3

Cet exemple est tout à la fois facile et fondamental et il ne faut surtout pas le négliger.

Voici quelques thèmes de réflexion sur ce sujet.

Le tore de dimension 3 n’est pas seulement une variété, c’est aussi un groupe topologique. Pouvez-vous énumérer toutes les variétés compactes de dimension 3 qui sont des groupes topologiques ? En dimension 4 ? En dimension supérieure ?

Tous les revêtements finis du tore sont homéomorphes entre eux. Est-ce que cette propriété le caractérise ?

Le tore de dimension 3 se plonge dans $\mathbb R ^4$, bien sûr. Si on munit le tore de la métrique euclidienne plate, peut-on le plonger isométriquement ? Même question dans $\mathbb R ^5$.

Soit $x$ une classe d’homologie primitive dans $H_2(T^3,{\mathbb Z})$ (c’est-à-dire qui n’est pas multiple entier d’une autre classe). Existe-t-il un plongement $i: T^2 \to T^3$ qui la représente, i.e. tel que $i[T^2]=x$ ? Même question dans $T^4$.

Existe-t-il une variété fermée de dimension 3 dont le groupe fondamental soit isomorphe à $\mathbb Z^k$ pour $k\neq 0,1,3$ ?

Article 9 La variété hypercubique

Cet exemple est à peine plus compliqué que celui du tore de dimension 3 mais beaucoup plus riche. Un peu comme la bouteille de Klein, (un peu) plus compliquée que le tore de dimension 2. Un débutant doit absolument l’étudier en détail.

Le groupe fondamental de cette variété agit par isométries sur $\mathbb R^3$ et le cube unité est un domaine fondamental. C’est donc l’un des 230 groupes cristallographiques de dimension 3. Lequel ? Parmi ces 230 groupes, combien mènent à des variétés de dimension 3 ? Pouvez-vous en faire la liste ? Henri Paul recommande le livre de Montesinos : Classical Tessellations and Three-Manifolds (1987).

Article 17 La variété dodécaédrique de Seifert-Weber

Rétrospectivement, on peut s’étonner qu’on ait mis tant de temps à comprendre le rôle central de la géométrie hyperbolique dans la topologie de dimension 3. Poincaré n’a pas seulement inventé la topologie algébrique ; il a aussi montré l’importance de la géométrie hyperbolique en dimensions 2 et 3. Mais de manière surprenante, il n’utilise jamais la géométrie hyperbolique pour des questions topologiques de dimension 3. Comme c’est bizarre !

En 1938, dans un article consacré au comportement des géodésiques sur les surfaces hyperboliques, Hedlund consacre un paragraphe à la dimension 3, tout en expliquant qu’on ne connaît des exemples que depuis peu (il ne cite pas Seifert et Weber, mais Loebell, qui avait construit en 1931 un exemple possédant moins de symétries) : « In contrast to the two-dimensional case, little seems to be known about the possible topological types of such manifolds ». Ainsi, en 1938, les variétés hyperboliques semblaient exceptionnelles.

C’est William Thurston qui a pris conscience que, même si les variétés de dimension 3 ne sont pas toutes hyperboliques, elles le sont « presque toutes ». C’est lui qui a montré qu’on pouvait/devait utiliser la géométrie pour comprendre la topologie.

En 1978, des copies des « notes de Thurston » ont commencé à circuler en France. Henri Paul se souvient de l’impression qu’il a ressentie au premier coup d’œil. La rédaction n’avait absolument rien à voir avec les textes un peu rigides auxquels il était habitué, « à la Bourbaki ». Les figures par exemple avaient droit de cité et envahissaient même le texte.

Dans le premier chapitre de ces notes, on montre que le complémentaire du nœud de huit possède une structure hyperbolique, obtenue en recollant deux triangles idéaux. Aujourd’hui, tout cela nous semble « facile ». Et pourtant, à l’époque, des groupes de travail, dans plusieurs universités, peinaient à essayer de comprendre ce type de construction. La géométrie prenait peu à peu du pouvoir sur la topologie. Quelques années plus tard, ce sera l’analyse qui prendra toute sa place.

Henri Paul conserve précieusement les photocopies des notes de Thurston, datant de 1978 :-) La transformation en LateX brise le charme.

Article 20 Suspensions d’homéomorphismes linéaires du tore

Ces exemples sont d’une richesse inépuisable. Ils sont importants en topologie, en dynamique, en théorie des nombres etc. Ils sont une source sans fin d’exemples et de contre-exemples. L’oncle Henri Paul recommande chaleureusement de faire comme il a fait lorsqu’il était étudiant et de passer de nombreuses heures à inspecter ces exemples dans tous leurs recoins. Après tout, ils sont élémentaires car ils sont construits à partir d’une matrice $2 \times 2$.

Voici une liste non exhaustive de thèmes de reflexion. Deux matrices dans $\mathrm{SL}_2(\mathbb{Z})$ de même trace sont elles conjuguées ? Combien y a-t-il de classes de conjugaison par trace ? A quelles conditions deux de ces variétés de dimension 3 ont-elles des revêtements finis qui sont homéomorphes ? Quand les groupes fondamentaux sont-ils quasi-isométriques ? Y a-t-il d’autres variétés de dimension 3 dont le groupe fondamental soit résoluble ? etc. etc.

On raconte que Steve Smale avait conjecturé qu’un difféomorphisme générique d’une variété compacte n’a qu’un nombre fini de points périodiques. On raconte également que René Thom lui a montré l’exemple de la matrice $\begin{pmatrix}2&1\\1&1\end{pmatrix}$ et lui a fait remarquer que puisque les traces des puissances de cette matrice tendent vers l’infini exponentiellement (vérifiez-le), tout difféomorphisme homotope à cette matrice doit posséder une infinité de points périodiques, ruinant ainsi la conjecture de Smale. L’histoire ne dit pas ce que Smale en pensa. Peut-être aurait-il dû lire Poincaré ? A vrai dire, Smale a avoué un jour à Henri Paul qu’il n’avait jamais lu quoi que ce soit de Poincaré car « it is written in French ». L’argument de Thom utilise le théorème des points fixes de Lefschetz, qui compte les points fixes, avec une multiplicité donnée par leurs indices. Pour compléter la preuve de Thom, il fallait savoir que si $x$ est un point fixe d’un difféomorphisme $F$, alors l’indice du point fixe $x$ de $F^n$ reste borné quand $n$ tend vers l’infini. Thom ne pouvait pas savoir que Shub et Sullivan ne le démontreraient qu’une quinzaine d’années plus tard (très joli article, très élémentaire et très instructif).

Article 21 Revêtement universel de quelques surfaces

A propos de la bande de Möbius, il ne faut pas rater ces vidéos de Tadashi Tokieda :

Rubrique 27 Groupe fondamental par les lacets

Cette partie est « classique ». Il est important de ne pas perdre de vue les exemples. L’oncle Henri Paul avait appris cette définition dans un livre un peu bizarre de Hilton et Wylie qui ne se préoccupe pas beaucoup d’exemples (et dont il ne recommande pas la lecture). Un jour, alors qu’un professeur lui demandait pourquoi le groupe fondamental de la sphère de dimension 2 est trivial, il répondit qu’il suffit de choisir un point qui est hors de l’image du lacet et que le lacet est donc évidemment contractile, puisqu’il se trouve ainsi dans la sphère moins un point, c’est-à-dire dans un plan. Le professeur objecta que le lacet pourrait être une courbe de Peano, recouvrant entièrement la sphère. Henri Paul était furieux : cette objection n’était pas sérieuse et montrait le mauvais esprit du professeur. Comme disait Poincaré lui-même « Autrefois, quand on inventait une fonction nouvelle, c’était en vue de quelque but pratique ; aujourd’hui, on les invente tout exprès pour mettre en défaut les raisonnements de nos pères, et on n’en tirera jamais que cela  », mais Henri Paul n’osa pas le faire remarquer à son professeur. La topologie algébrique de la sphère n’a rien à voir avec Peano, voilà tout ! On peut s’en sortir de nombreuses manières, par exemple en utilisant le théorème de Van Kampen, ou bien en remarquant qu’en lissant un lacet, on ne change pas sa classe d’’homotopie : dans la définition, on peut toujours supposer les lacets de classe $C^1$ (par morceaux si on veut).

Il ne faut surtout pas croire que tout cela est facile. Un exemple très intéressant est décrit dans un article de Michèle Audin : « Cartan, Lebesgue, de Rham et l’analysis situs dans les années 1920, scènes de la vie parisienne ». En 1925, Henri Lebesgue écrit à Elie Cartan pour lui demander quel est le groupe fondamental du plan projectif complexe ! Aujourd’hui, c’est vraiment facile… (faites-le donc, pour voir si vous avez bien compris). La réponse de Cartan est étonnamment compliquée et aurait probablement énervé Poincaré. Il décrit le plan projectif complexe comme un polyèdre contenant « 4 sommets, 12 arêtes, 14 faces, 6 cases, 3 hypercases ». « C’est un polyèdre déjà très costaud » « qui ne parle guère à l’imagination » écrit-il. Il explique ensuite que cela entraîne que l’espace est simplement connexe. Il manifeste également son étonnement qu’un espace simplement connexe puisse ne pas être une sphère. Cela doit donner du courage à l’étudiant d’aujourd’hui : il est mieux armé que les grands Maîtres d’autrefois. Peut-on imaginer qu’Elie Cartan n’avait jamais pensé au produit de deux sphères par exemple ? Étonnant !

Petit exercice proposé : Soit $X$ un espace topologique et $X^{(2)}$ son carré symétrique, c’est-à-dire le quotient de $X\times X$ par l’involution qui permute les deux facteurs. Montrer que le groupe fondamental de $X^{(2)}$ est commutatif. Étudiant, Henri-Paul avait beaucoup appris en résolvant cet exercice.

Rubrique 28 Groupe fondamental par les revêtements

Pas facile du tout ! mais une fois qu’on a compris, on est convaincu que c’est la meilleure approche. L’oncle Henri Paul avait d’abord étudié le groupe fondamental constitué de lacets. Un jour, on lui a conseillé de lire «  Algèbre et théories galoisiennes » par Adrien et Régine Douady. Il s’en été détourné avec horreur car il n’y voyait qu’un formalisme inutile, avec une odeur de « maths modernes » qu’il n’aimait pas du tout. Puis, par hasard, il a lu Albert Lautman, « Essai sur l’unité des mathématiques », datant de 1938, donc peu susceptible d’être qualifié de moderne. Le chapitre « La montée vers l’absolu » l’a enthousiasmé et l’a convaincu que la clôture algébrique, la théorie de Galois, celle du corps de classe, et celle du groupe fondamental ont en commun cette recherche de l’Absolu vers lequel il faut monter (avant de redescendre, malheureusement). Alors Henri Paul est devenu un adepte de l’Absolu… et préfère aujourd’hui penser au groupe fondamental comme le groupe d’automorphismes de l’Absolu. Même s’il n’a pas oublié le temps où, étudiant, il aimait les définitions concrètes et un peu scolaires.

Adrien et Régine Douady, Algèbre et théories galoisiennes, 1978.

Albert Lautman, Essai sur l’unité des sciences mathématiques dans leur développement actuel, 1938

Rubrique 31 Bordisme

Henri Paul était encore doctorant lorsqu’il a rencontré lors d’un colloque un autre doctorant, dont il a oublié le nom mais pas le visage, et lui a avoué qu’il ne comprenait pas grand-chose à l’homologie. Alors l’inconnu lui a expliqué le bordisme en buvant quelques bières. Il ne lui a pas expliqué que le bordisme ne correspondait pas tout à fait avec l’homologie, probablement parce qu’il l’ignorait.

Parmi les conférenciers du colloque, il y avait René Thom qui faisait des exposés sur la tectonique des plaques. Tout cela devait passer bien au dessus de la tête des géologues et des matheux qui participaient au colloque mais Henri Paul se souvient d’une application de la cohomologie à la géologie, expliquée par Thom dans sa conférence, le lendemain du jour de l’explication du bordisme. Supposons que la Terre soit constituée de plaques $P_i$ qui flottent, comme expliqué par la tectonique des plaques. Alors, que signifient longitudes et latitudes si nous sommes tous sur des radeaux qui dérivent les uns par rapport aux autres ? Problème cohomologique très simple ! Prenez deux plaques $P_i$ et $P_j$ qui sont en contact le long d’une ligne. Soit $\omega_{i,j}$ la vitesse infinitésimale de rotation de $P_i$ par rapport à $P_j$, vue comme un vecteur dans l’espace. Alors, Thom explique qu’en chaque point triple, la somme des trois $\omega_{i,j}$ est nulle, que cela définit donc un $1$-cocycle sur la sphère $\mathbb S^2$, qui est donc un cobord. Mais, trouver une primitive pour $\omega_{i,j}$ revient à trouver un repère fixe par rapport auquel on peut décrire le mouvement de chaque plaque, un référentiel absolu qu’on utilisera donc pour mesurer latitudes et longitudes.

Henri Paul était admiratif, même s’il avait bien conscience que ces idées ne serviraient jamais en géologie... Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il aurait dû demander à René Thom de lui expliquer en quoi le bordisme et l’homologie diffèrent, puisque c’était lui qui avait fondé la théorie du cobordisme. Quelle occasion manquée !

Il faut profiter des colloques !

Rubrique 32 Cohomologie de de Rham

Henri Paul ne peut pas tout raconter, même en ce qui concerne le développement historique de la topologie algébrique. Il aimerait bien, mais ce n’est pas possible, et pour l’histoire post-poincaréenne, il ne peut que se limiter à des anecdotes et à de (bonnes) recommandations de lecture.

En ce qui concerne la genèse du théorème de de Rham, le mieux est de lire cet article par son inventeur, très lucide sur sa contribution.

Georges de Rham, Quelques souvenirs des années 1925-1950.

A l’évidence, de Rham a essayé très tôt de comprendre l’Analysis Situs de Poincaré, mais ce n’est pas facile. Nous avons déjà vu que le premier mémoire de Poincaré contient un paragraphe qui, si on le lit entre les lignes, et si on a de l’imagination, peut être vu comme une première version du théorème de de Rham. Evidemment de Rham a lu ce paragraphe et ne l’a pas compris (et on le pardonne bien volontiers). L’a-t-il utilisé inconsciemment ? Ce n’est pas clair. En tous les cas, la thèse de de Rham, en 1931, qui contient son théorème, n’indique nulle part que, peut-être, Poincaré a initié ce domaine. Il est facile, vu depuis le 21 ème siècle, de lire entre les lignes de Poincaré.

On dit que la réaction d’un mathématicien qui reçoit l’annonce d’un théorème nouveau d’un jeune collège se développe en trois étapes successives.

  • C’est faux.
  • Je l’ai déjà démontré il y a vingt ans.
  • C’est trivial.

D’après le texte de de Rham, c’est à peu près comme ça que Lefschetz a réagi face à l’annonce du théorème de Hodge :-)

Un autre texte intéressant sur cette période.

Article 33 Polyèdres, Applications et variétés PL

Il ne faut surtout pas croire que les triangulations ont été inventées pour les besoins de la topologie algébrique.

Les triangulations ont d’abord été utilisées en topographie. On triangule le pays qu’on veut cartographier, on mesure soigneusement l’un des côtés, qu’on appelle la « base », par exemple en comptant combien de toises en bois on peut déposer le long de ce côté, et enfin on mesure tous les angles des triangles avec un théodolite. Ensuite, il n’est pas difficile de calculer toutes les longueurs (même si les calculs sont longs).

Voici l’une des premières triangulations de la France, pour la « carte de Cassini ».

Trianguler est encore d’actualité en mathématiques appliquées, bien sûr, lorsqu’il s’agit de discrétiser une équation aux dérivées partielles par exemple. On montre souvent le « lapin de Stanford » pour illustrer qu’on peut aussi trianguler les lapins.

Article 34 Triangulations lisses

Henri Paul a vu récemment une « triangulation artistique » dans un musée d’Abu Dhabi.

L’artiste est Zeinad Al Hashemi, et l’œuvre est intitulée « Camouflage ». « Constituée de bois et de peau de chameau non traitée, le matériel organique utilisé sur la surface contraste avec la rigidité et la nature géométrique des pics ». A côté se trouve un petit panneau invitant le visiteur à s’assoir sur l’œuvre : « You can sit on the sculpture » ! Même avec la peau de chameau, Henri Paul n’a pas trouvé cette triangulation particulièrement « lisse ».

Article 35 Approximation d’objets lisses par des objets PL

Un exercice surprenant :

Montrer que toute variété compacte a le même type d’homotopie qu’un ensemble fini.


Une suggestion ?

Henri Paul n’a jamais dit que la topologie sur l’ensemble fini est discrète !

Article 35 Approximation d’objets lisses par des objets PL

Les trains électriques des enfants sont constitués de segments rectilignes et d’arcs de cercles. Ces réseaux ferroviaires sont lisses, de classe $C^1$. Cette régularité est insuffisante pour les vrais chemins de fer car une discontinuité dans la dérivée seconde implique un choc brutal pour les passagers. Il faut donc insérer entre les segments et les cercles des rails dont la courbure évolue continument entre $0$ et une constante. Ces arcs sont des clothoïdes, utilisés par la SNCF pour le confort de classe $C^2$ des passagers. On dit que les Suisses garantissent une régularité de classe $C^3$, mais ce n’est peut-être qu’une rumeur.

Rubrique 36 Homologie singulière

L’usage du mot « singulier » en mathématiques est pour le moins singulier, et mérite qu’on s’y attarde un peu.

Le Littré distingue dix sens, dont le neuvième est mathématique. Quel est celui qui correspond ici à l’« homologie singulière » ?

  • 1 Qui appartient à un seul, individuel.
  • 2 Combat singulier, combat d’homme à homme.
  • 3 Terme de grammaire.
  • 4 Qui ne ressemble point aux autres.
  • 5 D’une excellence rare.
  • 6 Qui affecte de se distinguer.
  • 7 Il se dit de ce qui, en bonne ou en mauvaise part, excite l’étonnement, paraît extraordinaire.
  • 8 Il se dit des personnes en un sens analogue.
  • 9 Terme de géométrie. Point singulier, point d’une courbe qui présente quelque particularité remarquable
  • 10 Terme d’anthropologie. Les points singuliers du crâne.

En général, le mot est employé en mathématiques dans le sens 9, c’est-à-dire pour désigner un point ou un objet qui est différent des autres. On parle des points singuliers d’une variété algébrique ou d’un champ de vecteurs par exemple. Dans le cas qui nous occupe, la terminologie n’est pas très heureuse. Il s’agit d’utiliser des simplexes qui PEUVENT présenter des singularités, mais bien entendu ceux qui ne sont pas singuliers sont les bienvenus et il serait stupide de ne considérer que des simplexes singuliers pour définir l’homologie singulière. Très mauvaise terminologie, mais c’est trop tard !

Rubrique 39 Pinceau de Lefschetz

Solomon Lefschetz est considéré en général comme le continuateur de Poincaré en ce qui concerne la topologie.

Né en 1884 à Moscou, il vient très tôt à Paris et émigre aux Etats-Unis en 1905, après avoir fait des études à l’école centrale de Paris. Un grave accident lui fait perdre ses deux mains en 1907 et l’empêche de continuer la carrière d’ingénieur qu’il avait projetée : il sera mathématicien ! On raconte que chaque matin, un assistant lui glissait une craie dans sa prothèse et en retirait ce qui en restait le soir.

Dans un film très intéressant, datant de 1965, et accessible sur internet, Lefschetz raconte ses souvenirs et donne ses points de vue sur les mathématiques.

Quelques extraits de ce film :

Le professeur Tucker lui rappelle une anecdote : un jour, dans un train, Zariski (géomètre algébriste célèbre, très algébriste) demande à Lefschetz comment il voit la différence entre l’algèbre et la topologie. Sa réponse est que « tant qu’on fait tourner une manivelle, c’est de l’algèbre, mais quand il y a une idée c’est de la topologie ».

Parmi les choses surprenantes dans ce film, on découvre que Lefschetz « s’approprie » un certain nombre de choses qui sont aujourd’hui considérées comme appartenant à Poincaré. Par exemple, en ce qui concerne l’intersection des cycles en homologie, Lefeshetz déclare « Nobody in topology had even thought about intersection of cycles. That was something I had to devise. I had to construct the whole theory of intersection of cycles : a totally new chapter in topology ». Ceci est d’autant plus intéressant que le film montre que Lefschetz a lu en détail l’Analysis Situs : il reprend par exemple son interlocuteur en citant un passage précis de l’introduction du premier mémoire.

Henri Paul avait déjà constaté ce phénomène dans son premier ouvrage et il ne peut que se répéter :


Dans son article de 1976 faisant le point sur le vingt-deuxième problème de Hilbert (l’uniformisation), Bers place une citation de Goethe en exergue :

Was du ererbt von deinen Vätern hast, erwirb es, um es zu besitzen.

Ce que tu hérites de tes parents, il faut le conquérir pour le posséder.

Selon Bers [Ber1976] :

Chaque génération de mathématiciens, obéissant au conseil de Goethe, repense et retravaille les solutions découvertes par ses prédécesseurs et les place dans le cadre des concepts et des notations de l’époque.

Deux [1] remarques encore.

  • Lefschetz explique qu’il se sent l’héritier de Picard dont il a semble-t-il suivi les cours à Paris. A-t-il rencontré Poincaré ?
  • Il explique également qu’il n’a jamais envisagé l’étude de la géométrie algébrique autrement qu’à travers l’Analysis Situs.
  • Au début de la seconde guerre mondiale, il a changé son sujet d’étude pour passer à ce qu’on appelle aujourd’hui les « systèmes dynamiques » qui étaient « closer to what people needed during war time ».

Article 40 Groupe fondamental et classe d’Euler des fibrés en cercles

Article très important, qui dépasse le cadre strict de la topologie de dimension 3. Sa compréhension nécessite un effort, mais le résultat vaut la peine !

Il faut savoir que ce qu’on appelle ici « classe d’Euler » se retrouve sous une forme à peine différente sous le nom de « première classe de Chern ». Il faut savoir aussi qu’on peut travailler de la même manière avec un fibré en cerces au dessus d’une base $B$ quelconque. La classe d’Euler sera alors une classe de $H^2(B,{\mathbb Z})$.

Plus généralement, si on considère un fibré de base $B$ et dont le groupe structural est contenu dans un groupe topologique connexe $G$, la classe d’Euler est un élément de $H^2(B,{\pi_1(G)})$.

Il s’agit du premier exemple, le plus simple, et le plus instructif, de ce qu’on appelle la « théorie de l’obstruction ». On dispose d’un fibré $p: E \to B$, de fibre $F$, au dessus d’une base $B$ et on en cherche une section $s: B \to E$, i.e. telle que $p\circ s =id$. . On commence par une section au dessus du $0$-squelette, ce qui ne pose aucun problème. On cherche ensuite à la prolonger au $1$-squelette, puis du $1$-squelette au $2$-squelette etc. A chaque passage d’un squelette au suivant, on mesure « l’obstruction » au prolongement par une classe de cohomologie de degré $k$ à coefficients dans un groupe d’homotopie de $F$. Si cette classe est non nulle, c’est perdu, la section ne se prolonge pas, ce qui ne veut pas dire qu’en revenant en arrière, en changeant la section précédente, on ne pourrait pas continuer… En revanche si la classe est nulle, on peut prolonger au squelette suivant (sans garantir qu’il ne faudra pas rebrousser chemin plus tard etc.)

Dennis Sullivan a coutume de comparer ces classes d’obstruction à une lampe de mineur. « Une lampe de mineur, dans une galerie sombre, ça n’éclaire pas loin, peut-être un mètre devant soi, ça n’empêche pas de prendre le mauvais chemin, et finalement ce n’est pas très utile. Oui, mais essayez-donc sans lampe ! »

Rubrique 43 Exemples de dimension 3

On n’insistera jamais assez : la topologie algébrique s’appuie sur des exemples, peut-être plus que d’autres parties des mathématiques. Poincaré ne s’y est pas trompé : ses textes regorgent d’exemples. On peut même dire que la plupart des concepts et théorèmes de Poincaré sont introduits après la discussion précise d’un exemple significatif.

Beaucoup de mathématiciens (comme H. Poincaré, mais aussi comme M. Gromov) sont convaincus par le concept « d’exemple significatif ». Souvent, ils pensent que si un fait est vérifié sur un exemple significatif, c’est qu’il est vrai en général et qu’il n’est pas nécessaire de le démontrer. N’est-ce pas de cette manière que nous fonctionnons dans la vie de tous les jours ? N’est-ce pas la bonne manière de « faire des maths », de procéder par induction ? Chacun jugera. Tout le monde ne s’appelle pas Poincaré ou Gromov, et même si Henri Paul recommande TRÈS chaleureusement de passer beaucoup de temps à comprendre ces exemples (dont beaucoup ne sont pas faciles), il ne peut pas recommander de se limiter aux exemples.

Rubrique 45 Variété dodécaédrique de Poincaré

Attention, joyau !

Visiblement, Poincaré a beaucoup cherché avant de trouver cet exemple. Dans un premier temps, il avait affirmé que ces variétés ne pouvaient pas exister. Et puis, enfin, dans le cinquième complément, il présente sa construction. Aucune indication n’est donnée sur la manière dont il a cherché — et trouvé — la « bonne » décomposition de Heegaard. Probablement, par essais et erreurs, un peu au hasard ? Tout cela est un peu frustrant d’autant plus qu’on est surpris qu’il n’ait pas pensé à un lien avec le dodécaèdre. Dans le premier mémoire, il pense au cube, à l’octaèdre, dont il identifie les faces par paires, mais il ne va pas jusqu’au dodécaèdre, dont il était pourtant évidemment familier. Même les grands peuvent passer à côté…

Les six présentations de cette variété sont magnifiques, mais il faut savoir que le chemin est long et que tout cela ne sera pas facile. Mais au bout du chemin, le plaisir de pouvoir admirer les six faces d’un même joyau.

Article 53 Groupe fondamental et lacets

Rien de bien difficile dans cet article, et Poincaré ne s’attarde d’ailleurs pas beaucoup sur ces détails. On y définit les lacets, leurs homotopies, leurs concaténations, et enfin le groupe fondamental, comme le groupe des classes d’homotopie de lacets. Il existe beaucoup de variantes sur cette définition. Par exemple, dans cet article, la composition des lacets n’est pas associative, et elle ne le devient qu’à homotopie près. Certains n’apprécient pas ce défaut et préfèrent un autre modèle dans lequel l’associativité est directe. Peu importe ! L’un des défauts de cette définition est qu’elle semble indiquer que le groupe fondamental est bien plus gros qu’il n’est en réalité. Le groupe fondamental d’une variété compacte par exemple est un groupe de présentation finie, et donc dénombrable, ce qui n’apparaît pas clairement dans la définition.

Une homotopie entre $(\alpha\star \beta)\star \gamma$ et $\alpha\star (\beta\star \gamma)$ est une application de $[0,1] \times \Omega(X)^3 \to \Omega(X)$ et on peut généraliser cela en construisant des applications $K_n \times \Omega(X)^n \to \Omega(X)$ où $K_n$ est le $n$-squelette d’un certain polyèdre, appelé le polyèdre de Stasheff. C’est le début de la théorie des opérades, mais c’est une autre histoire.

L’oncle Henri Paul suggère au lecteur de penser à quelques exemples concrets. Quel est le groupe fondamental des boucles d’oreilles hawaïennes ? Un lacet peut-il tourner autour d’une infinité de boucles ? Ou bien, considérez l’adhérence du graphe de la fonction $f(x) = \sin (1/\sin(x))$ et quotientez-la par la translation $x\to x+ 2 \pi$. Quel est le groupe fondamental de ce quotient ?

Quel est le groupe fondamental de ${\mathbb R}^2 \setminus {\mathbb Q}^2$ ?

Henri Paul a un mauvais souvenir du cours de topologie algébrique qu’il a suivi naguère dans le cadre d’un cours de DEA (analogue du M2 d’aujourd’hui). Le cours parlait des ensembles semi-simpliciaux, bien sûr sans aucun dessin et sans la moindre intuition. On définit d’abord la petite catégorie dont les objets sont les entiers naturels et dont les flèches de $n$ vers $p$ sont les applications croissantes au sens large entre $\{0, 1, …, n\}$ et $\{0, 1, …, p\}$. Un ensemble semi-simplicial est alors un foncteur contravariant de cette petite catégorie vers la catégorie des ensembles. Voilà une définition incompréhensible. Henri Paul a dû subir le supplice de la définition du groupe fondamental d’un ensemble semi-simplicial en termes de lacets… semi-simpliciaux ! Comme quoi les étudiants d’aujourd’hui ont de la chance de disposer des œuvres de Henri Paul de Saint Gervais.

Un jour, à Bâle, Henri Paul était parti faire les courses au marché avec Norbert A’Campo. Il y avait beaucoup de monde, ça grouillait dans tous les sens. Norbert dit alors à Henri Paul : « tu vois, le groupe des tresses, c’est le groupe fondamental de l’espace des $n$-uplets de points distincts dans le plan, ce sont les $n$-personnes qui partent de chez elles, qui vont faire le marché, et qui reviennent chez elles ». Plus clair que les ensembles semi-simpliciaux.

Rubrique 55 Variétés lenticulaires

Lenticulaire ? La terminologie vient bien entendu des lentilles. Henri Paul se souvient que la première fois qu’il en avait entendu parler, il n’avait pas été très impressionné par ces « petites variétés ». Leur groupe fondamental est fini (et même cyclique), leur revêtement universel n’est « que » la sphère de dimension 3, etc. C’était une erreur de jugement. Ces variétés donnent les premiers exemples de variétés qui ont même type d’homotopie sans être homéomorphes. Ce fait n’est pas trivial (et n’est d’ailleurs pas démontré dans cet article). Peut-on expliciter, par des formules par exemple, une équivalence d’homotopie $f$ entre $L(7,1)$ et $L(7,2)$ ? Puisqu’un tel $f$ ne peut pas être un difféomorphisme, peut-on décrire le lieu où sa différentielle est singulière ? Pourquoi ne peut-il pas être « détruit » par déformation ? Voilà un mystère que Henri Paul aimerait bien percer.

Voici un autre thème de réflexion. Peut-on décrire explicitement une variété à bord $W(p,q)$ de dimension 4 dont le bord est $L(p,q)$ ? Comment $W(p,q)$ dépend-il de $p,q$ ?

Article 55 Revêtement et relèvements

Chapitre un peu technique. Une fois qu’on aura compris, on se demandera pourquoi il est nécessaire de l’écrire, tant tout cela est évident… Et pourtant, ce n’était pas évident auparavant. Bref, si on est débutant, il faut lire et faire en sorte que cela devienne évident. C’est parfois comme ça. Avant d’écrire de la poésie, Rimbaud a étudié la grammaire, qu’il a oubliée très vite, mais bien sûr sans l’oublier. À noter que Poincaré ne rentre pas dans ces considérations, qui lui semblaient probablement évidentes ?

Article 56 Revêtement universel

Le revêtement universel est un bien bel objet, qu’il est très important de maîtriser. Dans ce site, on le trouve en deux présentations : celle-ci et celle-là. Ici, on parle de l’espace des chemins issus du point base, à homotopie près, à extrémités fixes. La première fois que Henri Paul a entendu parler de cette construction, il n’a pas compris grand-chose. Il lui semblait que l’espace des chemins était beaucoup trop gros pour être un revêtement de l’espace initial, en particulier localement homéomorphe à cet espace. C’est bien sûr la relation d’homotopie qui « fait maigrir » l’espace des chemins. Dans la présentation initiale de Poincaré, au lieu d’utiliser des chemins issus du point base, on considérait des chaînes de petites boules (simplement connexes) dont chacune interceptait la précédente, en partant du point base. Henri-Paul préfère cette approche qui lui semble plus concrète.

Ne pas se limiter à comprendre le revêtement universel du cercle. Au minimum, il faut avoir une image mentale claire du revêtement universel d’une surface compacte.

Pour voir comment un mathématicien peut « ressentir » un revêtement, voici la vidéo de William Thurston « Knots to Narnia », complètement vintage. Dans cette vidéo, c’est Thurston lui-même qui décrit les lacets. À ne pas rater !

Article 57 Autour du groupe modulaire des surfaces

On dit en général que les maths sont précises et que chaque mot est bien défini. Peut-être… Celui de « module » est un bon contre-exemple, une espèce de mot fourre-tout qui ne signifie pas grand-chose.

Il arrive qu’un mathématicien prenne un air inspiré pour dire que « ce problème a des modules »... Il veut dire par là que l’objet étudié n’est pas rigide et qu’on peut le déformer.

Essayez de trouver ce qu’il y a de commun entre :

  • Le module d’un nombre complexe.
  • Un module sur un anneau.
  • Le module de continuité d’une fonction.
  • Modulo $p$.
  • Une forme, une courbe, ou une fonction modulaire.
  • Un espace de modules.
  • Le module $M$ des logarithmes décimaux .
  • Le groupe modulaire, comme il est question dans cet article.

Pas facile. Il ne faut pas trop chercher de logique… Essayons quand même.

En latin, modus signifie « mesure » et modulus en est un diminutif. Dès le seizième siècle, le mot est utilisé en architecture pour désigner une unité de mesure à partir de laquelle on indique toutes les longueurs dans une construction. On peut y voir l’origine de l’acception actuelle des modules de construction, du genre de ceux qu’on achète à Ikea. Le mot a pris un grand nombre de sens dérivés, comme on peut s’en assurer ici, ou ou encore . Essayons d’y voir clair dans le domaine mathématique.

Le module d’un nombre complexe, on le comprend, c’est sa « mesure ». La terminologie est due à Argand (l’un des « inventeurs » de la représentation géométrique des nombres complexes, en 1814).

La terminologie « module des logarithmes décimaux » est probablement inconnue des étudiants d’aujourd’hui. Il s’agit tout simplement de la valeur de $\ln 10$, notée $M$, et dont tous les lycéens connaissaient la valeur numérique il y a cinquante ans.

Gauss introduit le mot modulus (en latin) dans le premier paragraphe de ses Disquisitiones Arithmeticae (1801), dans le sens de $a$ et $b$ sont congrus « modulo » $n$.


Si numerus a numerorum b, c differentiam metitur, b et c secundum a congrui dicuntur, sin minus, incongrui ; ipsum a modulum appelamus. Uterque numerorum b, c priori in casu alterius residuum, in posteriori vero nonresiduum vocatur.

Plus proche de nos préoccupations topologiques, lorsque Legendre commence son étude des fonctions elliptiques, en particulier

$$ \int \frac{d \phi}{\sqrt{1-k^2 \sin ^2 \phi}}, $$

il les considère comme des fonctions de la variable $\phi$ qui dépendent du paramètre $k$. C’est ce paramètre qu’il appelle « module ».

Par la suite, lorsque Abel et Jacobi « inversent » les fonctions de Legendre, $k$ devient une « période » d’une courbe elliptique, i.e. l’intégrale d’une forme fermée sur une courbe fermée tracée sur un tore.

Par extension, dans son mémoire célèbre sur les fonctions abéliennes, Riemann appelle « module de périodicité » les intégrales des formes holomorphes sur les courbes fermées tracées sur une surface $S$. En termes modernes, ces modules forment un sous-groupe discret du dual de $H_1(S,{\bf R}) \simeq {\bf R}^{2g}$. Ce sous-groupe discret est le premier exemple de $\bf Z$-module dans le sens algébrique moderne du terme et le passage à « module sur un anneau » était naturel.

Par ailleurs, Riemann, dans le même article, fait un pas considérable en mathématiques, en faisant varier la surface de Riemann, ce qui dans son vocabulaire signifie simplement qu’il fait varier les coefficients de l’équation de la courbe algébrique étudiée. Il constate que lorsque la surface varie, le réseau des « modules de périodicité » se déforme. C’est ainsi qu’il introduit « l’espace des modules » de la surface de Riemann, i.e. l’espace des structures complexes sur une surface de genre $g$ donné. Par extension, le mot « espace de modules » a ainsi pris le sens d’un espace de déformation de structures, dans un sens très général.

Le « groupe modulaire », dans sa définition la plus classique, est tout simplement le groupe $SL(2;{\bf Z})$, ce qui correspond aux changements de base sur $H_1(T^2,{\bf Z})$, sur lesquelles on peut intégrer les formes fermées. C’est aussi le groupe des composantes connexes du groupe des difféomorphismes qui respectent l’orientation. Par extension, on passe aux surfaces de genres quelconques.

Bref, le mot « module » n’est pas bien clair.

Cet article démontre que le groupe modulaire de la sphère est trivial. La preuve est facile, modulo quelques théorèmes pas trop faciles.

Article 59 Groupe fondamental d’un quotient

Dans l’approche « par les revêtements », cet article est en fait une définition !

Article 64 Les CW-complexes

Henri Paul se souvient que lorsqu’il avait entendu parler pour la première fois de CW complexe, il avait demandé ce que signifient C et W. La plupart des mathématiciens ont perdu l’habitude de s’interroger sur la signification des mots qu’ils utilisent. Trop de mathématiciens ont pris l’affirmation de Hilbert au premier degré : « Nous devons pouvoir remplacer à tout moment les mots « points, droites, plans » par « tables, chaises, verre de bière ». C’est l’ idée que les mathématiques ne sont qu’un jeu sur des mots dont le sens n’importe pas. Ce n’est pas le point de vue présenté dans ce site. Cela dit, n’accablons pas Hilbert. Cette citation date de 1899 (dans son livre « Grundlagen der Geometrie » (Fondements de la géométrie) mais c’est le même Hilbert (avec Cohn-Vossen) qui publiera en 1932 son « Anschauliche Geometrie » (la géométrie et l’imagination) dont Henri Paul est un grand admirateur.

Revenons aux CW complexes.

Le mot complexe n’est pas trop étonnant. Subst. masc. Ensemble d’éléments divers, le plus souvent abstraits, qui, par suite de leur interdépendance, constituent un tout plus ou moins cohérent.

Pour C et W, il faut revenir à l’article de J.H.C. Whitehead datant de 1949 et proposant la définition.

Il s’agit de « Closure finite with Weak topology », comme expliqué dans cet article. Pourquoi ces conditions bizarres ?

Montrer que les propriétés suivantes sont réalisées :

  • Toute partie compacte d’un CW-complex est contenue dans la réunion d’un nombre fini de cellules.
  • Si on recolle une cellule sur un CW-complexe, le type d’homotopie de l’espace obtenu ne dépend que de la classe d’homotopie de l’application d’attachement.
  • L’espace des applications continues entre deux CW-complexes, avec la topologie compacte ouverte, a le type d’homotopie d’un CW-complexe.
  • Théorème de Whitehead : Une application continue entre deux CW-complexes est une équivalence d’homotopie si et seulement si elle induit un isomorphisme entre les groupes d’homotopie.
  • Montrez que les boucles hawaïennes n’ont pas le même type d’homotopie d’un CW-complexe.

J.H.C. Whitehead (1904-1960) n’était pas seulement l’un des fondateurs de la théorie de l’homotopie : il avait un hobby assez rare parmi les mathématiciens. Il aimait élever des porcs :

Pour une biographie (strictement mathématique, ne signalant pas les porcs), voir ici.

Article 65 Homologie singulière : Définition et premières propriétés

Tout cela devrait être facile, si on a déjà une idée de ce qu’on cherche à faire, et si on n’est pas trop gêné d’utiliser un bulldozer pour ramasser une pâquerette. Qu’on imagine seulement le nombre de simplexes utilisés pour démontrer par exemple que l’homologie d’un cube est nulle.

Le mémoire de DEA de Henri Paul ne traitait pas d’un sujet très intéressant. Il s’agissait d’ensembles semi-simpliciaux cubiques. Oublions. Mais cela suggère un exercice pour le lecteur. Construisez une théorie de l’homologie singulière dont les objets de base sont paramétrés par des cubes plutôt que par des simplexes standards. Montrez que cette théorie de l’homologie cubique ne fonctionne pas tout à fait et qu’elle ne donne pas le bon résultat pour l’homologie du point. Comment réparer tout cela ?

Voici comment A. Fomenko voyait une chaîne simpliciale cubique, en 1974. Brr, il devait faire froid à Moscou...

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Simplicial cubic cellular chains (A. Fomenko 1974)

Article 66 Du groupe fondamental à l’homologie en degré 1

Cet article n’est pas difficile, mais il est TRÈS important. Le premier groupe d’homologie $H_1(X,{\mathbb Z})$ n’est rien d’autre que le groupe fondamental $\pi_1(X,x)$ rendu abélien. Dire qu’un lacet est homotope à un lacet constant, c’est dire qu’il borde un disque. Dire qu’il est homologue à 0, c’est dire qu’il borde une surface. Ce chapitre met tout cela en place.

Un exercice qui semble n’avoir rien à voir avec la topologie.

Le commutateur $[a,b]$ de deux éléments $a,b$ d’un groupe est par définition $aba^{-1}b^{-1}$. M. Culler a montré que le cube d’un commutateur est un produit de deux commutateurs :

$$ [a,b]^3= [aba^{-1},b^{-1}aba^{-2}][b^{-1}ab,b^2] $$

Vérifiez ! Cette magnifique identité algébrique est un fait topologique. Partez d’un tore troué, dont le bord est donc homologue à zéro. Montrez qu’il existe un revêtement à trois feuillets à bord connexe, dont le genre est 2. En déduire la formule. L’exercice est probablement trop difficile mais c’est un prétexte pour encourager le lecteur à aller lire Christophe Bavard « Longueur stable des commutateurs » paru dans la revue l’Enseignement Mathématique (2) 37 (1991).

Rubrique 67 Cohomologie

Les débutants ont souvent des difficultés avec la cohomologie. Il ne faut pas s’en étonner car dans les premières années de l’université, les concepts de dualité en algèbre linéaire ne sont pas faciles à assimiler.

On imagine bien ce qu’est un vecteur. On y pense comme une flèche. On a plus de difficultés avec une forme linéaire. V. Arnold avait coutume de dessiner au tableau une forme linéaire comme une série de petits segments parallèles, suggérant les hyperplans où la forme prend une valeur constante. Mais il n’empêche que les formes linéaires sont moins intuitives que les vecteurs.

On dit souvent aux débutants qu’il faut penser homologiquement et démontrer cohomologiquement. L’un des principaux avantages de la cohomologie est qu’il s’agit d’une algèbre, contrairement à l’homologie. Multiplier, c’est utile.

La cohomologie, c’est pas facile !

Il faut aussi dire franchement qu’on manipule le plus souvent des classes de cohomologie de degrés 1 et 2. En degré 1, c’est en général parce qu’on est en train de déformer quelque chose, et en degré 2 parce qu’on tente de construire une extension de quelque chose. Cela ne veut pas dire que la cohomologie n’intervient que dans ces degrés. Par exemple les « classes de Chern » sont en degré $2k$, mais Henri Paul n’a jamais rencontré un mathématicien qui pouvait lui expliquer la vraie nature de ces classes. Même J. Milnor, dont les livres sont pourtant limpides, lorsqu’il écrit sur les « Characteristic Classes », fait le choix d’une présentation axiomatique et ne définit ces classes que dans un second temps, une fois qu’on a compris qu’elles sont utiles, même si leurs définitions sont compliquées.

Deux bizarreries terminologiques :

  • Dans son livre de 1963 Modern algebraic topology, Bourgin propose de retirer le h initial pour créer un mot qui signifie à la fois « cohomologie » et « homologie ».


In the interest of succinctness and easy interpretation, we reluctantly abandon the Hellenic roots and offer the Cockneyish « omology » to denote either homology or cohomology ».

  • Dans leur livre de 1960 Homology, Hilton et Wylie adoptent des conventions que personne n’a suivi par la suite. Pour des raisons obscures, ils préfèrent « contra » a « co » et parlent donc de contrahomologie. Par ailleurs, ils emploient une notation « polonaise », c’est-à-dire qu’ils notent $xf$ l’image de $x$ par $f$...

Rubrique 70 Sphères de Brieskorn

Egbert Brieskorn est né en Allemagne en 1936 et décédé en 2013. Il avait une personnalité très attachante, dont on peut se faire une idée en écoutant le chapitre « Mélancolia » de cet interview, datant de 2010.

Il insiste sur le côté « visuel » de son approche des mathématiques. Lorsqu’il était enfant, pendant la seconde guerre mondiale, il a joué avec des munitions et a perdu l’usage d’un œil. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il a pu voir à nouveau avec ses deux yeux. Selon son expression, il est devenu « stéréophile ». « Seeing in space came to me as an ecstasy ».

Il parle de son amour pour les maths, mais explique clairement que s’il devait choisir, eh bien, l’amour qu’il porte à sa femme prendrait bien entendu la première place ! Voici donc une photo du couple, extraite d’un site présentant leur action écologique.

Rubrique 70 Théorème de Van Kampen

Ce théorème est amplement utilisé par Poincaré sans même qu’il pense nécessaire de l’expliciter, et encore moins de le démontrer. Cela ne signifie pas qu’un étudiant puisse se passer de la preuve, mais les détails de cette preuve ne l’intéresseront peut-être pas. On considère ici des espaces $X$ qui sont union de deux morceaux $X_1,X_2$, d’intersection connexe. Le théorème affirme que le groupe fondamental de $X$ est obtenu à partir de ceux de $X_1$ et $X_2$, en n’oubliant pas que si un lacet est contenu dans l’intersection de $X_1$ et $X_2$, il ne faut pas le compter deux fois dans le groupe fondamental de $X$. C’est évident, mais… cela demande une preuve.

Ce « petit théorème qui ne paye pas de mine » a subi un lifting complet grâce à Bass et Serre, dans « Arbres, amalgames, SL2 » qui n’est pas évoqué ici, mais dont Henri Paul recommande chaleureusement la lecture.

Article 77 Du dual d’un complexe simplicial à la dualité de Poincaré

Dualité ?

« Ce qui est double en soi », d’après le Littré.

La dualité projective est l’un des premiers exemples de dualité en mathématique. Gergonne et Poncelet ont pris conscience qu’à chaque théorème de géométrie du plan, mettant en jeu des points et des droites, correspondait un théorème « dual » dans lequel on remplace les points par les droites et réciproquement. Cette dualité s’est ensuite étendue aux courbes algébriques. Chaque courbe peut être définie par l’équation $P(x,y)=0$ qui relie ses points, ou par son « équation tangentielle » $Q(u,v)=0$ vérifiée par les droites $ux+vy=1$ qui lui sont tangentes. La courbe est « une » mais on peut l’observer de deux façons : à travers ses points ou ses tangentes. Un objet, deux points de vue.

  • La dualité onde-particule.
  • La dualité entre une fonction et sa transformée de Fourier. Mais ceci est mal exprimé : il y a un seul objet qu’on peut voir « en espace » ou « en fréquence ».
  • La dualisme cartésien corps/esprit n’a probablement pas grand-chose à voir avec la topologie algébrique :-)

Quoi qu’il en soit, le message de Henri Paul est qu’il ne faut pas distinguer une classe d’homologie et la classe de cohomologie qui lui est duale. Il est préférable d’y penser comme un seul objet qui « est double en soi ».

Un peu comme cette œuvre de Markus Raetz qu’on trouve à Genève : c’est un OUI et c’est aussi un NON.



Article 78 Dualité de Poincaré (énoncé du théorème)

Comment Poincaré est-il parvenu à cet énoncé de dualité ? Cela est d’autant plus surprenant que l’un des premiers exemples qu’il donne, pour illustrer son théorème, est complètement faux. Faux mais... intéressant.

Il considère deux entiers naturels $k$ et $n$, puis le quotient $S_{k,n}$ de la puissance $k$-ème de la sphère ${\mathbb S}^n$ de dimension $n$ par le groupe permutant les $k$ coordonnées. Autrement dit, $S_{k,n}$ est l’espace des parties à $k$ éléments dans la sphère ${\mathbb S}^n$, avec multiplicité.

Voici quelques énoncés, plus ou moins implicites chez Poincaré. Lesquels sont vrais ? Lesquels sont faux ?

  • Les seuls nombres de Betti non nuls de $S_{k,n}$ valent 1, en dimension $0,n,2n, ..., kn$.
  • $S_{k,n}$ est une variété de dimension $kn$.

Il faudra d’abord analyser le cas de $S_{k,2}$, qui est homéomorphe à l’espace projectif complexe de dimension complexe $k$ (pourquoi ?). Peut-être Poincaré s’est-il contenté de cet exemple et a pensé qu’il se généralisait sans problème ?

Le cas de $S_{k,1}$ est intéressant aussi.

Rubrique 80 Cours moderne

Trois conférences sur la topologie algébrique de J. Milnor, filmées en 1965 :

Il faut apprécier la mise en scène et la musique.

Le même conférencier, cinquante ans plus tard, retrace l’histoire de la topologie algébrique à Séoul.

Quizz : Voici une photo prise lors du colloque de topologie différentielle de Strasbourg en 1953. On y voit en particulier

Chern, de Rham, Eckmann, Ehresmann, Godeaux, Hopf, Lichnerowicz, Malgrange, Milnor, Reeb, Schwartz, Süss, Thom et Weil.

Les reconnaîtrez-vous ?

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Solution

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Voir cet article de Michèle Audin pour une description du colloque.

Article 81 : Intersection géométrique du produit d’intersection

La topologie algébrique penche tantôt du côté algébrique et tantôt du côté topologique. Les preuves sont tantôt formelles et tantôt se résument à des dessins, plus ou moins convaincants.

Henri Paul recommande la lecture d’un court article de Dennis Sullivan [2] à la fois pour son contenu et pour sa forme. Mais avant de le lire, il recommande d’essayer de démontrer seul(e) le théorème, à titre d’exercice.

Soit $M$ une variété fermée orientée de dimension 3. Alors, $H=H^1(M,{\mathbb Z})$ est un groupe abélien de type fini muni d’une forme trilinéaire alternée $\mu$ : le produit cup à valeurs dans $H^3(M,{\mathbb Z})\simeq {\mathbb Z}$, ou, par dualité, l’intersection des cycles. Le théorème de Sullivan comporte trois parties :

  • Tout groupe abélien $H$ de type fini, muni d’une forme trilinéaire alternée, provient d’une certaine variété de dimension 3.

La figure suivant pourrait aider ?

  • Soit $P(x,y,z)=0$ l’équation d’une surface complexe dans ${\mathbb C}^3$ présentant une singularité isolée en $(0,0)$. Soit $M$ le link de cette singularité, c’est-à-dire l’intersection de la surface avec une petite sphère $\vert x \vert^2+\vert y \vert^2+\vert z \vert^2 = \epsilon$. Alors, la forme trilinéaire d’intersection $\mu$ sur $H^1(M,{\mathbb Z})$ est nulle.

Le troisième énoncé est pour le moins obscur, et la première difficulté consiste à le comprendre.

If $\pi$ is the fundamental group of $M$, then $\pi$, made abelian (mod torsion) is isomorphic to the dual space de $H$ and the commuter construction $(a,b) \to [a,b]= aba^{-1}b^{-1}$ defines a skew symmetric mapping

$$ \pi / [\pi,\pi] \otimes \pi/[\pi, \pi] \xrightarrow{[,]} [pi,\pi] / [\pi, [\pi,\pi]]. $$

If we dualize this $[,]$ pairing we find that the degeneracy of $\mu$ or dually the relations among commutators namely an exact sequence (mod torsion)

$$ 0 \to ([\pi,\pi]/ [\pi,[\pi,\pi]])^{\star} \xrightarrow{[,]^{\star}}\Lambda^2 \xrightarrow{\mu} H^{\star}. $$

For example, if $\mu=0$, $\pi_1(M)$ looks like a free group on $\beta= dim H$ generators (mod torsion and triple commutators). In general there are at most $\beta$ relations (defined by $\mu$) among the $\frac{1}{2}\beta(\beta-1)$ commutators.

Mais c’est surtout la « preuve » proposée par l’auteur qui est digne d’une anthologie mathématique. La voici, dans tous ses « détails » :


The proof is a certain amount of soul searching classical algebraic topology.

Comme quoi les preuves bidons, publiées dans des journaux prestigieux, ne sont pas l’apanage de Poincaré :-)

Voici le coupable en 1968.

Article 82 Complexes de cochaînes et cohomologie

Au cas où l’étudiant trouverait cet article un peu difficile, ou un peu abstrait, Henri Paul recommande de regarder cet extrait du film de 1980, « It’s My Turn » avec Jill Clayburgh et Michael Douglas.

La démonstration du lemme du serpent par la professeure (semble-t-il aux pieds nus ?) est tout à fait convaincante.

Rubrique 85 Topologie des hypersurfaces algébriques

L’oncle Henri Paul reconnaît bien volontiers sa mauvaise foi. Ce site fait la part belle à Poincaré. Probablement une part trop belle.

Prenons l’exemple de la topologie des surfaces algébriques. Lorsqu’il revient sur sa carrière, S. Lefschetz insiste beaucoup plus sur l’influence d’Emile Picard que sur celle de Poincaré.

Emile est né en 1856 (donc deux ans après Poincaré) et décédé en 1941. Son œuvre est extraordinairement variée. Ses travaux sur les surfaces algébriques sont d’une grande profondeur.

Le premier tome de son livre « théorie des fonctions algébriques de deux variables », écrit avec G. Simart (capitaine de frégate !) a été publié en 1897, soit à peine deux ans après le premier mémoire de Poincaré, et deux ans avant le premier complément. Poincaré n’est cité que huit fois. Lefschetz explique clairement que c’est ce livre qui l’a motivé et qu’il a essayé de comprendre, sans y réussir véritablement.

Les liens entre Poincaré et Picard ne sont pas très « cordiaux ». La correspondance contient 14 lettres de Picard, entre 1881 et 1901. Dans les premières, on se donne du « Monsieur et cher collègue » et, une fois qu’ils sont tous les deux à l’Académie des Sciences (1887 pour Poincaré et 1889 pour Picard), on passe à « Mon cher ami » (tout en continuant à se vouvoyer). En 1901, Picard juge utile d’écrire :


Dans cette question des cycles à deux dimensions que nous travaillons tous deux actuellement, je tiens essentiellement à vous dire avec la plus grande sincérité les points que je possédais depuis longtemps et ceux qui ont pu plus ou moins directement m’être suggérés par des conversations avec vous.

Voyez le reste de la lettre.

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Il y a clairement une compétition. Amicale ?

Nous avons déjà remarqué que le premier mémoire de Poincaré, lu entre les lignes, contient une première version du théorème de de Rham, mais que tout cela est bien obscur. Il est évident que les chapitres 1 et 2 du livre de Picard sont bien plus clairs et s’approchent beaucoup plus du théorème de de Rham. Quant à la dualité de Poincaré, Picard la démontre en degré 1. Il signale ensuite que Poincaré l’affirme en tout degré, mais ajoute sournoisement que « quelques points » de sa preuve « mériteraient d’être complétés ». Il n’a pas tort.

Henri Paul se sent un peu coupable de ne pas rendre à Picard ce qui est à Picard. Il faut dire que son livre n’est pas non plus très limpide.

Article 88 Lemme de Morse

Henri Poincaré utilise le lemme de Morse sans même ressentir le besoin de le justifier. Ce lemme est-il à ce point évident ? On peut tenter de « reconstruire » l’argument qui a pu faire penser à Poincaré que ce lemme devait être vrai, et… facile. Plaçons-nous en dimension $2$ par exemple, et prenons une fonction $f(x,y)$ qui présente un point critique à l’origine. Par une transformation linéaire, on peut réduire la partie quadratique du développement de Taylor (i.e. la Hessienne) à une somme (ou une différence) de carrés. Si on suppose la Hessienne non dégénérée, elle se réduit donc à $\pm x^2 \pm y^2$.

Etudions l’effet du changement de coordonnées

$$(x,y) \mapsto (x+p(x,y),y+q(x,y))$$

où $(p,q)$ sont des polynômes homogènes de degré 2, sur la fonction $\pm x^2 \pm y^2$. On trouve

$$\pm x^2 \pm y^2 + 2 (\pm x p(x,y) \pm y q(x,y))+ …$$

Evidemment, tout polynôme homogène de degré 3 peut s’écrire sous la forme $\pm x p(x,y) \pm y q(x,y)$ en choisissant convenablement $p,q$. Par un changement de variables, il est donc évident qu’on peut se débarrasser des termes de degrés 3. Par le même argument, on se débarrasse des termes de degrés 4, etc… On rappelle que Poincaré suppose souvent implicitement que les fonctions qu’il étudie sont analytiques. Il est « raisonnable » de penser que le processus qu’on vient de décrire converge, et que ceci est une « preuve » du lemme de Morse, qui est donc « évident ».

Quelques exercices :

  • Compléter l’esquisse ci-dessus, en démontrant le lemme de Morse pour une fonction holomorphe.
  • Pouvez-vous démontrer un lemme de Morse pour une fonction analytique de plusieurs variables $p$-adiques ?
  • Si une fonction de Morse est de classe $C^k$, quelle est la régularité du changement de variable qui la réduit à la forme normale ?
  • Si une fonction de Morse est paire, existe-t-il un changement de variables pair qui la réduit à la forme normale ? Plus généralement, si une fonction de Morse est invariante par l’action linéaire d’un groupe fixant l’origine, peut-on trouver un changement de variables commutant avec cette action ?
  • Que se passe-t-il en présence d’une forme de volume sur la variété, ou d’une forme symplectique ? Peut-on trouver un changement de variables préservant ces structures ?
  • Le lemme de Morse est-il valable dans un espace de Banach ?
  • Continuez à vous poser d’autres questions !

Article 90 Entre deux valeurs critiques

Point critique ?

Quelle terminologie étonnante ! Qu’y a-t-il de « critique » dans un point où la différentielle est nulle ? Est-ce lié à une « crise » ?

On pense à la théorie des catastrophes de Thom. On pense aussi à la thermodynamique et à ses points critiques.

Cet article montre que si on ne passe pas par une valeur critique, tout va bien, rien ne se passe. Ce sont les points critiques qui créent les bifurcations, les transitions de phase etc. La terminologie est donc justifiée.

La figure suivante illustre le comportement du chien, hésitant entre l’attaque et la retraite, sans savoir qu’il est en train de tourner autour d’un point critique !

THOM, R, & E.C. ZEEMAN (1974) : Catastrophe Theory : its present state and future perspectives. In : A. Manning (Ed.) Dynamical Systems. Springer Verlag.

Article 91 Au voisinage d’un point critique

Critical Point est un jeu vidéo :


The year is 2037, and the Earth has been ravaged by a war, in the first-ever hardcore science fiction bishoujo game translated into English ! When trouble breaks out on Moon Base D-02, threatening to destabilize the balance of power between Earth and space, you must resolve the situation. Once you arrive, you discover that not only are technical malfunctions wreaking havoc with base operations, but that some form of biological warfare is causing the military personnel to go insane with sexual desires !

Rubrique92 Caractéristique d’Euler-Poincaré

Pourrez-vous aider ce malheureux qui n’arrive pas à convaincre sa petite amie que la caractéristique d’Euler-Poincaré du bord d’une variété est toujours paire ?

En passant, vous lui expliquerez qu’Euler n’aurait pas compris cet énoncé alors que Poincaré l’aurait démontré facilement. Il semble que les américains oublient systématiquement la contribution de Poincaré à ce sujet. Shame on them.

Article 93 Inégalités de Morse

Comme souvent, les inégalités « de Morse » ne sont pas vraiment dues à Morse !

Dans son livre de 1934 intitulé « The calculus of variations in the large », page 143, Morse énonce les inégalités puis retrace leur histoire. Selon lui, elles ont été démontrées à peu près simultanément par Hopf, Lefschetz et lui-même. Il explique par ailleurs que la seconde inégalité (i.e. le cas $i=2$ dans cet article) est due à Poincaré.

Article 95 Axiomes d’une théorie des chaînes pour les espaces topologiques

Surtout, ne pas paniquer. Ne lire ce texte qu’après avoir été familiarisé avec plusieurs théories homologiques. Alors, tout cela paraîtra presque « évident ». En effet, on voit bien comment on calcule l’homologie singulière ou simpliciale d’à peu près n’importe quel objet sans avoir vraiment besoin de savoir ce qu’est l’homologie. On décompose l’espace en blocs contractiles, donc sans homologie, et on utilise un certain nombre de fois des suites exactes pour recoller les morceaux. Au bout du compte, on prend conscience que pour calculer ces groupes, il suffit que quelques axiomes soient satisfaits. QED.

Certains livres de topologie algébrique présentent cette axiomatique dès le départ. Ce n’est pas notre choix.

Même si, bien entendu, ces axiomes n’ont pas été formulés par Poincaré, on peut penser qu’il n’aurait pas été étonné. Il a construit plusieurs théories homologiques, plus ou moins satisfaisantes, et il ne cherche pas à démontrer des isomorphismes. Il suffit que ces théories soient effectives dans le sens où on peut les calculer en recollant les morceaux. Poincaré semble convaincu que cela entraîne l’unicité de la théorie ?

Dold et Thom ont inventé le produit symétrique infini. Partant d’un espace pointé $(X,x)$, ils considèrent les quotients $S^k(X)$ de $X^k$ par l’opération de permutation des coordonnées. En ajoutant le point base, $S^k(X)$ se plonge dans $S^{k+1}(X)$ et on peut donc considérer leur union infinie $S^{\infty}(X)$. En quelque sorte, l’ensemble des parties finies de $X$, avec multiplicité. Dold et Thom démontrent que les groupes d’homotopie $\pi_n(S^{\infty}(X))$ sont isomorphes aux groupes d’homologie $H_n(X)$. Comment font-ils ? Ils montrent que $\pi_{\star}(S^{\infty}(X))$ vérifie les axiomes de l’homologie. Cette preuve, totalement contre-intuitive, attendait d’être éclairée par un argument géométrique, qui n’est venu que bien plus tard.

Cela dit, un « textbook » moderne, datant de 2002, prend ce point ce vue et définit l’homologie comme l’homotopie de $S^{\infty}(X)$.

Aguilar, Marcelo ; Gitler, Samuel ; Prieto, Carlos, Algebraic topology from a homotopical viewpoint, Translated from the Spanish by Stephen Bruce Sontz. Universitext. Springer-Verlag, New York, 2002. xxx+478 pp.

Article 100 Revêtements ramifiés entre surfaces

Trouvé ici.

Goettingen est un haut lieu de l’histoire des mathématiques. On trouve ici un grand nombre d’objets construits il y a plus d’un siècle pour illustrer des concepts abstraits, comme celui de surface de Riemann.

Voici par exemple les surfaces de Riemann des fonctions $\sqrt[3]{z}$ et $\arcsin (z)$, pas très éloignées de la « maison » de Bernhard.

Article 104 Construction topologique des pinceaux de Lefschetz

Les « cycles évanescents » dont il est question sont-ils dûs à Picard ou Lefschetz ? Aucun des deux ! Le processus a été long et on peut penser que la terminologie est due à Euler !

Dans son « textbook » célèbre datant de 1748 intitulé « Introductio in analysisin infinitorum », volume 2, Euler étudie comment varie la topologie (sans utiliser ce mot bien sûr) d’une courbe algébrique lorsque ses coefficients dépendent d’un paramètre. Il suit l’exemple de Newton en se concentrant sur les courbes du troisième degré, de la forme :

$$ xy^2= 2by+ax^2+cx+d-n^2x^3. $$

Tout dépend du nombre de racines réelles de $F=b^2+dx+cx^2+ax^3-n^2x^4$. Euler trace les courbes dans chaque cas, mais surtout il cherche à décrire ce que nous appellerions aujourd’hui les « bifurcations ». Dans l’extrait suivant, on lit « tum nodus in cuspidem acutissimam evanescet, … ».

Evanescet… Un ovale évanescent.

A vos Gaffiot !

Rubrique 110 Surfaces complexes

Le 11 février 1926, Emile Picard est reçu à l’Académie française. Le voici en habit vert :

Comme le veut la tradition, un immortel doit lui souhaiter la bienvenue au club. C’est le romancier Marcel Prévost qui est chargé de ce discours. Comment allait-il expliquer le théorème de Picard selon lequel le premier groupe d’homologie d’une hypersurface générique dans $P^3$ est nul ?

Extrait du (long) discours :


Semblable infortune advint naguère à ce grand géomètre (vous déplorez quelque part qu’il ne soit pas assez célèbre) Cauchy. Cauchy enseignait à Prague, vers 1833, les mathématiques au duc de Bordeaux. Son élève, par ailleurs d’esprit vif et appliqué, ne parvenait pas à comprendre ce simple théorème que toute section plane d’un cône est une ellipse...

[…]

Et Cauchy s’épuisait vainement en arguments géométriques. A la fin, prenant un parti extrême, il arrêta net ses raisonnements et, les yeux dans les yeux, demanda à son élève

« — Monseigneur, vous me savez honnête homme, et incapable de tromper ?

— Comment donc ! se récria le duc.

— Eh bien, Monseigneur, dans les conditions indiquées, la section plane d’un cône est une ellipse, je vous en donne ma parole d’honneur.

— Pas un mot de plus, Monsieur, répliqua vivement l’élève... Pas un mot de plus, vous me désobligeriez. La section est une ellipse ; voilà une affaire réglée... »

L’enfant royal avait raison ; car l’argument qui le convainquait ne diffère pas de celui qui nous empêche de douter, par exemple, « qu’une surface algébrique n’ait pas, en général, d’intégrale de différentielle totale de première espèce ». Vous nous l’avez dit, cela suffit à assurer notre conviction et nous vous répondons, comme le jeune disciple de Cauchy : « Voilà une affaire réglée. »

Espérons que les lecteurs de ce site n’accepteront pas ce genre d’arguments d’autorité. Il est préférable de se souvenir de la réponse d’Euclide au roi Ptolémée 1er qui trouvait la géométrie trop difficile et demandait s’il n’y avait pas une manière facile de l’aborder : « Sire, il n’y a pas de voie royale vers la géométrie »

Article 120 Chirurgie de Dehn

Trouvé ici.

Rubrique 120 La théorie de Morse

Il faut absolument lire l’article de Raoul Bott sur Marston Morse. On y apprend beaucoup de mathématiques, mais aussi beaucoup sur la personnalité de Morse.

« He was a great Francophile and liked most to think of himself as a mathematical descendant of Poincaré ».

A vrai dire, c’est ce que Morse pensait de lui-même mais pas tout à fait ce que Bott pense de Morse. Si l’on coupe l’Analysis Situs en « Analysis » et « Situs », on peut considérer que Lefschetz est l’héritier de la partie « Situs » de Poincaré alors que Morse s’est emparé de la partie « Analysis ». En tous les cas, aucun des deux n’est un algébriste ! Alors que Lefschetz voyait la topologie comme un outil pour comprendre la géométrie algébrique, Morse l’utilise pour comprendre la dynamique, tout particulièrement en provenance de la mécanique. L’héritage de Poincaré était trop lourd : il fallait le subdiviser.

Dans une conférence en 1949, Morse s’exprime sur l’algèbre : «  The battle between algebra and geometry has been waged from antiquity to the present ». Il fait allusion à l’algébrisation grandissante de la topologie à cette époque ; les axiomes d’Eilenberg-Steenrod, ou les suites spectrales par exemple datent de cette époque. Plus loin, il lance, comme une devise « Forever the foundation and never the Cathedral ».

Comme écrit Bott : « Morse was first and foremost a mathematical "craftsman" who did mathematics every day of the year, naturally, and-like Bach, under all conditions ; with children on the lap, in the car ... « 

Mais Henri Paul recommande la lecture intégrale de cet article de Bott.

Une autre biographie intéressante se trouve ici.

Article 131 Multiplication en cohomologie

Il faut bien savoir que l’existence de ce produit en cohomologie est un petit miracle.

Résumons l’histoire (postérieure à Poincaré). Dans un premier temps, la cohomologie de de Rham se développe. Elle calcule la cohomologie (singulière ou simpliciale, peu importe) avec des coefficients réels. Elle est évidemment munie du produit extérieur des formes différentielles, qui est associatif et commutatif (au sens gradué). Existe-t-il quelque chose d’analogue sur l’anneau des entiers ? Une multiplication commutative des cochaînes ? C’est le « problème des cochaînes commutatives » qui était une énigme pour les pères fondateurs de la topologie algébrique. Est-il possible de définir un complexe différentiel qui serait une algèbre extérieure libre munie d’une différentielle qui calculerait la cohomologie à coefficients entiers ?

La réponse est négative : ça n’existe pas. L’inexistence d’un tel objet est démontrée par ce qu’on appelle les « carrés de Steenrod », dont on ne parle pas dans ce site !

La réponse est cependant positive sur le corps des rationnels : on peut définir des « formes différentielles à coefficients rationnels » qui constituent une algèbre différentielle graduée commutative et qui calculent la chohomologie rationnelle. Tout cela est évoqué dans cet article.

Résumé : l’existence d’un produit commutatif sur la cohomologie entière d’un espace est un fait remarquable.

Article 133 Pinceaux sur les surfaces algébriques

Faisceau ou Pinceau

Il est étonnant de constater que dans la terminologie mathématique, un mot peut en chasser un autre, qui est en quelque sorte obligé de déménager sous la pression du nouveau venu. C’est ce qui s’est passé pour faisceau. Une espèce de pression migratoire en mathématiques.

Depuis longtemps, on entendait par « faisceau » un « ensemble de droites, de courbes, de surfaces dépendant d’un même paramètre », c’est tout au moins ce qu’en dit le Littré. Les lycéens étudiaient les faisceaux de cercles, les élèves de classes préparatoires les faisceaux de coniques, et les professionnels les faisceaux de cubiques. Et voilà que la théorie des faisceaux et de leur cohomologie (dont on ne parle pas dans ce cours) a envahi la géométrie algébrique dans les années 1950, en expulsant les « vieux » faisceaux et en les priant de s’appeler dorénavant des pinceaux.

A vrai dire, la définition du Littré n’est pas bonne (mais ce n’est pas ce qu’on attend du Littré en mathématiques). Par exemple, si on considère la famille des tangentes à un cercle, il s’agit en effet d’une famille de droites dépendant d’un paramètre, mais ça n’est pas un pinceau-faisceau car les droites se coupent. Un pinceau-faisceau est constitué par les fibres d’une application rationnelle, par exemple définie sur une surface algébrique, à valeurs dans ${\bf P}^1$. Ce sont des courbes qui sont disjointes deux à deux, tout au moins si on n’y inclut pas le lieu d’indétermination de la fonction rationnelle. Par exemple, l’ensemble des droites du plan passant par un point donné est en effet un pinceau ($y/x = constante$). D’ailleurs, deux poils d’un pinceau sont disjoints, sauf à la base du pinceau où ils sont assemblés.

A vrai dire, les pauvres pinceaux doivent être contents d’avoir été priés de ne plus s’appeler des faisceaux. Car enfin, le mot « faisceau » évoque de tristes souvenirs fascistes.

Article 135 Le produit cap et la dualité de Poincaré

La dualité d’Alexander affirme que l’homologie du complémentaire d’un compact (raisonnable) plongé dans une sphère ne dépend pas de la manière dont il est plongé. Par exemple si on plonge un cercle dans la sphère de dimension 2, le complémentaire a deux composantes connexes, chacune ayant l’homologie d’un disque. Mais à vrai dire dans ce cas particulier, un théorème beaucoup plus fort est valable : le théorème de Schönfliess affirme qu’à homéomorphisme global de la sphère près, on ne peut plonger le cercle que d’une seule manière, i.e. comme un équateur.

Bien évidemment, on s’est vite demandé si un résultat analogue est vrai pour les plongements de la sphère de dimension 2 dans la sphère de dimension 3. C’est Alexander qui a construit un magnifique contre-exemple : le complémentaire n’est pas simplement connexe (même si, bien sûr le premier groupe d’homologie est nul).

C’est la sphère cornue d’Alexander.

La voici :

Pour plus de détails visuels, on peut visionner cette jolie vidéo.

En 1924, Alexander démontrait qu’à difféormorphisme près il n’y a qu’un seul plongement différentiable de la sphère de dimension 2 dans la sphère de dimension 3.

Henri Paul recommande à l’étudiant de lire cette page du blog de Danny Calegary. Surtout, il ne faut pas hésiter à lire les autres pages de ce blog….

Article 136 Orientation et classe fondamentale

Avez-vous déjà observé que le mot « orienter » vient de « orient » : la direction du soleil levant ? Dans son sens premier, il s’agit donc d’une direction privilégiée, à partir de laquelle on mesure les autres directions.

Le sens mathématique de l’orientation d’un espace vectoriel, ou d’une variété, est beaucoup plus subtil et n’a été mis en évidence qu’assez tardivement. On cite en général Immanuel Kant en 1768, lors de sa leçon inaugurale, qui s’étonnait de son incapacité à distinguer ses mains droite et gauche, pourtant si différentes. Il affirmait que cette différence ne peut pas être expliquée par le langage et concerne donc la nature intime de l’espace.

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La main droite est semblable et égale à la main gauche. Si l’on regarde l’une d’entre elles, pour elle-même, en examinant les proportions et la position de chacune de ses parties, ou en observant les dimensions de l’ensemble, on comprend qu’une description de cette main décrit tout autant l’autre. […] Il en résulte donc qu’une main ne peut se distinguer de l’autre.

Et pourtant, une main ne peut pas se superposer à l’autre.
[…]
Ces considérations montrent que la nature de l’espace n’est pas une conséquence des positions de ses parties, les unes par rapport aux autres.
[…]
La différence entre les mains est donc une vraie différence, qui est inhérente à la vraie constitution des objets : elle est relative à l’espace absolu.

Un mathématicien dirait simplement que les deux mains sont isométriques mais qu’elles ne le sont pas positivement, mais aurait-t-il répondu pour autant à la question que posait Kant ?

Pour comprendre dans quels abîmes de perplexité un philosophe peut sombrer, Henri Paul recommande la lecture de

Jonathan Bennet : the difference between right and left, American Philosophical Quarterly 7 (3), 175-191, 1970

En lisant ce genre de textes, le mathématicien pensera probablement que le philosophe n’a pas non plus répondu à la question de Kant. Il faut replacer cette discussion dans le cadre de la grande dispute entre Newton et Leibniz. Ce dernier affirmait que l’espace se réduit aux objets matériels qu’il contient et aux relations entre ces objets. Newton quant à lui donnait à l’espace absolu un statut indépendant de la matière. Mais l’espace de Newton n’est pas pour autant « vide » : c’est le sensorium dei, le milieu grâce auquel Dieu perçoit et agit sur les corps, comme les planètes par exemple.

Mais Henri Paul s’éloigne des mathématiques ! Il recommande cependant la lecture de

  • Space from Zeno to Einstein, Classic Readinfs with a Contemporary Commentary, edited by Nick Huggett, Bradford book, the MIT press (1999)

dans lequel la philosophie de Poincaré sur l’espace joue un rôle important.

Article 139 Homologie relative

Pas difficile mais il y a un risque. Le lemmes des cinq est le prototype de ce qu’on appelle la « chasse dans les diagrammes ». Le risque est ici de faire de l’algèbre en oubliant la topologie. Dans toutes ces suites exactes, il est impératif de garder en permanence en mémoire la signification géométrique de chacune des flèches. Pour une suite exacte courte, c’est facile. C’est un peu plus difficile pour les suites exactes longues et bien, bien, plus difficile pour ce qu’on appelle une suite spectrale. Voici l’image un peu terrifiante d’une suite spectrale, vue par Fomenko. En 1967, vue depuis l’URSS, la topologie algébrique n’avait pas trop l’air rigolote ;-)

A spectral sequence (A. Fomenko, 1967)

Article 141 Théorème des petites chaînes

Article technique dont on peut se passer en première lecture. En découpant les chaînes suffisamment, on ne change pas l’homologie. Si ce n’était pas le cas, on peut penser qu’il n’y aurait pas de théorie valable. Et si on continuait à découper « à l’infini », que resterait-il ? Des chaînes infiniment petites ? En effet, même si ça ne signifie pas grand chose… Et que seraient les cochaînes correspondantes ? Eh bien, les formes différentielles, tout simplement, et on retombe sur la cohomologie de de Rham. La théorie homologique « infinitésimale » correspondante s’appelle la « théorie de l’homologie des courants », inventée par Georges de Rham, qui est intrinsèquement locale, c’est-à-dire pour laquelle le théorème des petites chaînes est automatique.

Ce qui est ennuyeux avec les cochaînes singulières, c’est que si on coupe un triangle en deux, la valeur de la cochaîne appliquée sur le triangle n’est pas la somme des deux valeurs. Ennuyeux… Tout cela entraîne toutes ces complications techniques.

Article 142 Démonstration(s) du théorème d’écrasement et applications

L’oncle Henri Paul a eu la chance d’assister au dernier cours de Henri Cartan, avant sa retraite. Il s’agissait de topologie algébrique et du théorème d’excision. A la grande surprise des étudiants, il commença son cours en déclamant le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. "
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : "Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. "
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Puis, il continua en expliquant le théorème d’excision. Si $A\subset Y \subset X$, alors l’homologie relative de $(X,Y)$ est la même que celle de $(X\setminus A, Y \setminus A)$ et, victorieux, de sa voix haut perchée, il rit : « Vous voyez, le renard a beau croquer dans le fromage $(X,Y)$, il n’arrive pas à en manger l’homologie ! » Humour de mathématicien ?

Article 143 Suite exacte de Mayer-Vietoris

Le théorème date des années 1920. Leopold Vietoris est mort à 111 ans, en 2002. La topologie algébrique allongerait-elle la durée de vie ? Henri Cartan est mort à 104 ans.

Extrait d’un article de Heinrich Reitberger concernant Vietoris :

Concerning the genesis of this theorem, we may let the principals speak for themselves. Mayer : “I was introduced to topology by my colleague Vietoris, whose lectures in 1926–7 I attended at the local university. In many talks about this field Vietoris gave me a lot of hints for which I am very grateful.” Vietoris : “W. Mayer, whom I told about the problem as well as the conjectured result and a way to its solution, has solved the question, as far as it concerns Betti numbers, in a somewhat different way in these Monatshefte. In what follows, I will return to my original idea and use it for the solution in the general case.” Thus Vietoris calculated the homology groups and not just the Betti numbers (i.e., the ranks of the groups).

Article 149 Définition de la cohomologie de de Rham

Une forme différentielle est un objet mystérieux. Dennis Sullivan a écrit un texte majeur de topologie algébrique, « Infinitesimal computations in Topology », qui va bien au delà du théorème de de Rham dans le sens il montre que les formes différentielles permettent de calculer non seulement la cohomologie d’une variété mais tout son type d’homotopie (rationnel). Un jour, le jeune Henri Paul a demandé à Dennis Sullivan comment il comprenait les formes différentielles. La réponse fut pour le moins surprenante : « Je sais ce qu’est une forme de degré 1 et de degré maximal, je comprends à peu près le degré 2, mais dans les autres cas je n’y comprends pas grand-chose. Par exemple, je ne sais pas comment "comprendre" une 3-forme en dimension 5 ». Pas étonnant que toute la machinerie de l’algèbre différentielle extérieure ait mis tant de tant à se développer. Par exemple, un débutant ne doit absolument pas tenter de lire le calcul différentiel extérieur dans les œuvres de Elie Cartan. Les notations sont abominables et on n’y comprend absolument rien.

Article 150 Fonctorialité et produit en coohomologie de de Rham

Une anecdote-exercice.

Elie Cartan présidait le jury de la thèse de de Rham.Il semble que ce qui a le plus intéressé Cartan dans cette thèse est l’énoncé suivant. Soient $C_1$ et $C_2$ deux cycles de dimensions $p_1,p_2$ complémentaires dans une variété compacte orientée de dimension $n$ (i.e. $p_1+p_2=n$). Soient $\omega_1$ et $\omega_1$ des formes fermées dont les classes de de Rham sont les Poincaré duales de $C_1$ et $C_2$. Alors, le nombre d’intersection de $C_1$ et $C_2$ est égal à l’intégrale du produit extérieur $\omega_1 \wedge \omega_2$ sur la variété. Selon vous, cet énoncé est-il correct ? Faut-il le corriger en introduisant des nombres universels $k_{p_1,p_2}$ tels que le nombre d’intersection de $C_1$ et $C_2$ est égal à $k_{p_1,p_2}$ fois l’intégrale du produit extérieur $\omega_1 \wedge \omega_2$ ? Si oui, quels sont ces nombres $k_{p_1,p_2}$ ?

Article 151 Suite exacte de Mayer-Vietoris pour la cohomologie de de Rham

L’existence de cette suite exacte en cohomologie de de Rham n’est pas difficile mais elle est au cœur de la preuve par Weil du théorème de de Rham.

André Weil, Sur les théorèmes de de Rham.

Cette démonstration, limpide, représente un moment important dans la mise en place de la théorie des faisceaux.

Cette conférence de Sternberg retrace ce développement et pourra probablement aider le lecteur.

Article 162 Boucles d’oreilles hawaïennes

Cet exemple est une « pathologie » « inventée tout exprès pour mettre en défaut les raisonnements de nos pères ». Il n’est pas nécessaire en première lecture, mais c’est un exemple intéressant qu’il est bon de connaître. Il montre précisément pourquoi il faut imposer des conditions locales à un espace topologique pour que la théorie des revêtements et du groupe fondamental se développe sans problèmes. La topologie algébrique, telle qu’elle a été conçue par Poincaré, ne se préoccupe pas des pathologies. Cela ne veut pas dire que l’étude topologique des espaces localement compliqués ne soit pas intéressante. Poincaré est aussi l’un des initiateurs de la théorie du chaos, pleine d’objets tels que les ensembles de Cantor, ou les attracteurs étranges, comme le papillon de Lorenz. Ces espaces ne sont pas ceux auxquels on pense en priorité dans ce cours, mais ils méritent bien sûr qu’on les regarde (de près si possible car c’est de près qu’ils sont intéressants). Des outils algébriques existent cependant, tels que la cohomologie de Cech.

La topologie du plan est passionnante mais d’un esprit différent de celui de ce cours. Soit $X$ un espace topologique tel que tout plongement du cercle dans $X$ le coupe en deux composantes, dont une n’est pas relativement compacte. Peut-on conclure que $X$ est un plan ?

Un exercice, intéressant mais pas si facile : Soit $K_1,K_2$ deux ensembles de Cantor dans le plan (i.e. compacts sans points isolés). Montrer qu’il existe un homéomorphisme du plan qui envoie l’un sur l’autre. Qu’en pensez-vous pour les ensembles de Cantor dans l’espace ? Pour commencer, vous étudierez ce qui se passe pour deux ensembles de Cantor dans la droite. En cas de difficulté, voir ici.

Article 164 Groupe fondamental d’un scindement de Heegaard

Toute variété fermée de dimension 3 possède une décomposition de Heegaard : elle est obtenue en recollant deux corps à anses. Le théorème de Van Kampen permet alors d’écrire une présentation du groupe fondamental. On a pensé un moment que cela permettrait de résoudre la conjecture de Poincaré, en déterminant à quelles conditions le groupe est trivial. En 1965, Stallings écrivait un article resté célèbre :

« How not to prove the Poincaré conjecture »

qui contenait le commentaire suivant « I have committed the sin of falsely proving Poincaré’s Conjecture. But that was in another country ; and besides, until now, no one has known about it.  »

On ne compte plus le nombre d’erreurs engendrées par la conjecture de Poincaré.

Article 168 La sphère de Brieskorn est la sphère d’homologie de Poincaré

En géométrie algébrique, les objets considérés sont souvent des quotients. Typiquement, on dispose d’une représentation linéaire d’un groupe $G$ agissant sur ${\mathbb C}^N$ et on aimerait considérer le quotient de ${\mathbb C}^N$ par $G$. Hélas, ce n’est pas si simple car il arrive souvent que l’action ne soit pas libre. Alors, on pense « dualement », c’est-à-dire qu’on considère l’algèbre des polynômes sur ${\mathbb C}^N$ qui sont $G$-invariants. Sous des conditions très générales, cette algèbre est engendrée par un nombre fini de polynômes, $P_1,…, P_k$, et on pense alors au quotient cherché comme l’image de l’application $(P_1,…,P_k): {\mathbb C}^N \to {\mathbb C}^k$. Cette image est souvent singulière et le travail du géomètre est alors de la « désingulariser ».

Tout cela est expliqué par l’un des acteurs principaux de la théorie, E. Brieskorn, dans cet interview, chapitres 5,6,7,8 et 12 (qui seront peut-être difficiles pour un débutant).

Les premiers exemples non triviaux ont été étudiés par F. Klein à la fin du dix-neuvième siècle : les sous-groupes finis de $GL(2,{\mathbb C})$ agissant sur ${\mathbb C}^2$. Son livre « Lectures on the icosahedron and the solutions of the fifth degree » est une merveille. Henri Paul se souvient avoir bataillé avec la version allemande alors qu’il ignorait l’existence d’une traduction anglaise, qu’il aurait pu lire plus facilement. Cela dit, lire un livre de mathématiques dans une langue qu’on ne connaît que superficiellement a aussi ses avantages, surtout si le livre contient de belles images.

Brieskorn explique sa fascination pour ce livre, dont il possède une édition originale, mais aussi une version plus moderne qui lui a été dédicacée par l’éditeur. Il est fier de cette dédicace : « To one who truly honors the icosahedron » !

Article 170 Classification des surfaces par la théorie de Morse

Au musée des confluences de Lyon...

Article 171 Théorème de la boule chevelue en dimension 2

Voilà une « application » classique du groupe fondamental. Si on coiffe une boule, il est nécessaire qu’il y ait un épi, un point où le champ de vecteurs capillaires s’annule. L’oncle Henri Paul est intéressé par les applications des mathématiques. D’ailleurs Poincaré avait beaucoup d’applications en tête (en particulier concernant la mécanique (céleste)). Cela dit, Henri Paul s’insurge : pourquoi les mathématiciens devraient-ils « vendre » leurs théorèmes en les « maquillant » avec des applications qui n’en sont pas ? Un coiffeur a-t-il jamais tenté de coiffer une boule toute entière ? Et puis, les cheveux définissent-ils un champ de vecteurs continu sur la sphère ? Franchement, tout cela n’est pas sérieux. Mais le fait qu’un champ de vecteurs continu sur la sphère s’annule quelque part est tout à fait intéressant, pour des tas d’autres raisons non capillaires.

Article 194 Fonctions multiformes et groupe fondamental

Alors qu’il était étudiant en licence, Henri Paul avait entendu un professeur prestigieux (Henri Cartan himself) définir une surface de Riemann comme une variété analytique complexe de dimension 1. Bizarre ! Comment une surface peut-elle être de dimension 1 ? Plus encore, le petit Henri Paul ne voulait pas se résigner à croire que la dimension 1 méritait l’intérêt car enfin la mathématique se doit d’étudier le cas général avant tout, n’est-ce pas ? Quelle naïveté, quelle jeunesse, quelle arrogance :-) Plus tard, déjà docteur en mathématiques, Henri-Paul a lu le premier volume de l’Histoire de la géométrie algébrique, par Dieudonné, et il a compris.

Il a compris d’abord que les mathématiciens font ce qu’ils peuvent, que pendant des siècles ils se sont intéressés d’abord aux courbes dans le plan, puis timidement dans l’espace, puis aux surfaces dans l’espace et que ce n’est que récemment qu’ils ont osé observer les variétés algébriques en dimension quelconque, pour se rendre compte que ce n’est pas facile du tout.

Par ailleurs, le jeune Henri Paul — qui n’était pas encore oncle à l’époque — a compris que les nombres complexes avaient envahi toutes les mathématiques au cours du dix-neuvième siècle, au point que parfois les mathématiciens en oubliaient les nombres réels. On raconte l’histoire d’un géomètre algébrique contemporain qui faisait une conférence sur les « variétés abéliennes ». A la fin de son exposé, on lui demande ce que deviennent ses théorèmes sur le corps des réels. Le conférencier est surpris, réfléchit, réfléchit encore, et finit par dire avec le plus grand sérieux « je suis désolé, je n’ai jamais réfléchi à la réalité ».

Le corps des nombres complexes est de dimension 1 — ce sont des nombres après tout — mais lorsqu’on en sépare les parties réelles et imaginaires, il forment un plan réel de dimension 2, qu’on appelle souvent le plan complexe. Pour beaucoup de géomètres algébriques, le mot « droite » évoque « bien sûr » une droite projective (en ajoutant un point à l’infini) et « bien sûr » le cas complexe si bien que pour eux, une droite est un plan auquel on adjoint à l’infini, c’est-à-dire une sphère de dimension 2. Combien d’étudiants se sont posés des questions sur la santé mentale de leur professeur qui prononçait le mot « droite » et dessinait une sphère au tableau ?

Une grande découverte de Riemann a été de comprendre qu’une fonction algébrique d’une variable (complexe) est en général multiforme, i.e. que chaque point à plusieurs images, mais surtout qu’en considérant toutes ces images on construit une courbe-surface de dimension 1. « Surface » car de dimension 2 sur les réels, et « courbe » car de dimension 1 sur les complexes. La chose intéressante est que cette surface a une topologie riche : c’est le vrai début de la géométrie algébrique « sérieuse » qui lie l’algèbre, la géométrie et la topologie. L’une des motivations de Poincaré était de passer des courbes aux surfaces, donc de la dimension 2 à la dimension 4. Tout cela est expliqué dans cet article.

Cette gymnastique mentale, consistant à penser la dimension 1 comme une dimension 2, n’est pas facile du tout. Il faut de l’imagination, mais cela finit par devenir naturel.

Les citations sur les nombres complexes abondent. L’Oncle Henri Paul a été intéressé de trouver sur internet, en plusieurs endroits, une citation de Sophus Lie, donc du dix-neuvième siècle : «  Les nombres complexes, c’est comme dans le vie, il y a une partie réelle et une partie imaginaire  ». Etonné que le docte mathématicien ait pu écrire ce genre de choses, Henri Paul a écrit à tous les sites où il avait vu cette citation. La plupart n’ont pas répondu et ceux qui ont répondu ont affirmé que leur source provenait de « quelque part sur internet ». Se non è vero è bene trovato.

Jean Dieudonné : Cours de géométrie algébrique, I : Aperçu historique sur le développement de la géométrie algébrique, collection SUP, le mathématicien, PUF, 1974.

Un collector : une conférence de Dieudonné sur ce sujet (en anglais), datant de 1972.

Article 213 Théorèmes de Lefschetz

Solomon Lefschetz, décrivant ses travaux en topologie algébrique, appliqués à la géométrie algébrique :


« It has never yet reached Bourbaki, it will never. I hope » .

Article 217 Classification des revêtements et revêtements galoisiens

Attention ! Cette partie est plus difficile qu’il n’y paraît. Il faut bien sûr lire cela en ayant derrière la tête la théorie de Galois et le description des extensions de corps en termes des sous-groupes du groupe de Galois. Le sujet est un peu « piégeux » en particulier à cause des revêtements non galoisiens, qui ont enduit Henri Paul de nombreuses fois en erreur. Par exemple, considérez une surface compacte de genre 2, et une courbe fermée immergée très compliquée. Le groupe fondamental de cette courbe définit un sous-groupe infini cyclique du groupe fondamental de la surface, et donc un revêtement de cette surface. Essayez-donc de vous imaginer ce revêtement. Quel est son groupe d’automorphismes ? Comme Henri Paul s’est trompé très souvent avec les revêtements non galoisiens, il préfère ne pas les utiliser du tout. Il serait même favorable à changer la définition des revêtements pour les exclure, mais il a bien conscience qu’il ne serait pas suivi par les collègues. Mais quand même : attention, terrain glissant !

Article 218 Équivalence des définitions d’espace simplement connexe

Bon, tout va bien, les définitions qui paraissaient différentes ne le sont pas ! Ouf… Ce chapitre devrait servir de test : s’il ne vous semble pas évident, allez en prison ! Ou plus précisément, repartez à la case départ.

Article 219 Un revêtement est caractérisé par son action sur la fibre

C’est important, même si ce n’est pas difficile. Il faut bien assimiler cela. Si un groupe $G$ agit transitivement sur un ensemble $F$, et si $H\subset G$ désigne le stabilisateur d’un point, on peut identifier $F$ à $G/H$ et l’action de $G$ sur $F$ à l’action de $G$ sur $G/H$. Facile, très facile, mais… mérite d’être bien compris.

Un jour, un mathématicien célèbre (dont les initiales sont JPS) a expliqué à Henri Paul un très joli théorème du dix-neuvième siècle (de Jordan), très facile et très joli. Si $G$ et $H\subset G$ sont finis, il existe au moins un élément $g \in G$ dont l’action sur $F=G/H$ n’a pas de points fixes. Henri-Paul était fasciné. Voici la preuve. Pour chaque $g$, soit $N(g)$ le nombre de points fixes de $g$ agissant sur $G/H$. Calculons la somme des $N(g)$ sur tous les éléments de $G$. C’est aussi le nombre de couples $(g,f)$ d’éléments de $G\times F$ tels que $g.f=f$. Si on fixe un $f$, le nombre d’éléments de $G$ vérifiant $g.f=f$ est le cardinal de $H$. Ainsi la somme des $N(g)$ est égale à $card(H)card(G/H)= card G$. Autrement dit, le nombre moyen de points fixes, i.e. $(\sum_{g \in G} N(g))/ card G $ est égal à 1. En moyenne, une action transitive sur un ensemble fini a UN seul point fixe. La fin de la preuve est simple : puisque l’identité a beaucoup de points fixes et comme en moyenne il y a un point fixe, il faut bien qu’un élément n’ait pas de point fixe du tout. QED.

Article 221 Revêtements

Henri Paul suggère de bien examiner la définition et de bien faire la différence entre un revêtement et une application « étale », c’est-à-dire une application $f : X \to Y$ qui est un homéomorphisme local : tout point de $x$ à un voisinage $U$ tel que la restriction de $f$ à $U$ est un homéomorphisme de $U$ sur $f(U)$. Lorsque $X$ et $Y$ sont compacts, les deux concepts coïncident (prouvez-le), mais si $X$ et $Y$ sont le plan ${\mathbb R}^2$ il est instructif de construire des contre-exemples. Ces applications étales interviennent dans de nombreux contextes et sont souvent sources d’erreur. Henri Paul n’ose pas faire la liste des théorèmes faux qu’il a démontré en confondant ces deux concepts.

Un revêtement infini cyclique (galoisien) !

Article 222 Exemples de fibrés en cercles

Ah ! La fibration de Hopf. Quelle merveille ! Tout étudiant en topologie algébrique doit l’étudier, en détail. Ca ne se discute pas, voilà tout. C’est un ordre de Henri Paul.

Le lecteur pourra observer la fibration de Hopf dans les chapitres 7 et 8 de Dimensions.

Deux « exercices » sur la fibration de Hopf.

Bien sûr, comme d’habitude, ce n’est pas Hopf qui l’a inventée. La contribution de Hopf [3] est différente. Il a montré que « sa » fibration ${\mathbb S}^3 \to {\mathbb S}^2$ n’est pas homotope à une application constante, alors que toutes les applications induites en homologie sont triviales. Cet article raconte l’histoire. Essayez de démontrer ce théorème de Hopf. Le fait que deux fibres soient enlacées est important.

La sphère ${\mathbb S}^3$ de dimension 3 est un groupe : le groupe des quaternions unitaires. Chaque plongement du corps des complexes dans le corps des quaternions fournit un plongement de $SO(2)$ dans ${\mathbb S}^3$ qui à son tour définit une « fibration de Hopf » : ${\mathbb S}^3 \to {\mathbb S}^3/SO(2)$. Ainsi « la » fibration de Hopf n’est pas unique puisque l’espace des plongements de $\mathbb C$ dans les quaternions est une sphère de dimension 2 (vérifiez-le). Essayez d’imaginer toutes ces fibrations simultanément. D’autre part, au lieu de considérer les classes à droite ${\mathbb S}^3/SO(2)$, on peut considérer les classes à gauche $SO(2)\backslash {\mathbb S}^3$, ce qui fait encore d’autres fibrations.

Article 231 Définition de l’homologie à la Poincaré

Cet article n’est pas nécessaire à la compréhension des théories modernes de l’homologie. En revanche, il sera utile aux lecteurs qui cherchent à comprendre comment on a pu passer de la présentation par Poincaré de l’homologie aux versions contemporaines. Voilà donc un exemple typique de la « méthode Saint Gervais » : expliquer le présent grâce au passé, en ne craignant pas les anachronismes. Henri Paul sait parfaitement que cela ne contribue pas à l’histoire du sujet, mais il pense que certains étudiants y trouveront de l’inspiration.

La terminologie « homologie » a remporté un très grand succès. Le choix de ce mot est pourtant étonnant puisqu’il avait déjà un sens bien établi en 1895. En géométrie projective « classique », une homologie est une transformation projective qui est une involution et fixe un hyperplan. Il est vrai que les homologies projectives ne sont plus très importantes aujourd’hui, mais à l’époque de Poincaré tous les lycéens connaissaient le mot.

Dans son article historique Henri Poincaré and XXth Century Topology [4], S. Novikov explique le choix du mot « homologie » par le fait que Betti était chimiste.


According to my information, Betti was a Chemist. It explains such terminology as Homology.

La biographie de Betti ne semble pourtant pas indiquer de lien avec la chimie. Il est vrai que ce mot est employé depuis longtemps par les chimistes [5]. En passant, l’oncle Henri Paul doit dire qu’il est en désaccord avec beaucoup d’aspects de la présentation historique de S. Novikov. Par exemple, il est affirmé que l’homologie telle que la définit Poincaré est le bordisme, ce qui n’est pas exact comme nous l’expliquons dans cet article.

Article 238 Classification des surfaces triangulées par réduction à une forme normale

Article absolument fondamental. On a souvent tendance à présenter la classification des surfaces comme étant intuitive. Ce n’est pas si simple. Voyez par exemple la photographie suivante, prise dans un couloir du département mathématique de Bristol.

Ou ce dessin, extrait de Amer. Math. Monthly (1980) :

Je ne sais pas quel article, ou quelle rubrique ? Variétés

Entre la définition formelle d’un concept mathématique et la manière dont un mathématicien le comprend, il y a souvent un immense fossé. Le rôle d’un cours de mathématiques, écrit ou oral, est bien entendu de donner la définition formelle des objets : « Une variété est un espace topologique tel que tout point possède un voisinage bla-bla-bla », mais il faut aussi essayer de transmettre des intuitions. C’est en tous les cas ce que ce site essaye de faire.

Dans cet interview de Egbert Brieskorn, Henri Paul recommande au débutant d’écouter le chapitre « Shared understandings, manifolds, and definitions ». On y apprend, sur l’exemple des variétés, comment chacun se forge son intuition, qui n’est pas nécessairement la même que celle du collègue, mais que ce n’est pas très grave. Très intéressant…

« What do I have in mind when I say « manifold » ? »

Brieskorn rappelle l’un des premiers exemples de variétés, donné par Riemann dans son article fondateur : l’« espace des couleurs ». C’est espace n’est en aucun cas une sous-variété d’un espace euclidien et on peut l’aborder de nombreuses manières différentes.

La position des objets sensibles et les couleurs sont probablement parmi les notions les plus simples qui permettent de définir des variétés de dimensions variées.

Riemann, 1854.

Pour l’amusette, David L. Macadam (du laboratoire de recherche de Kodak) a tenté en 1944 de représenter la géométrie de l’espace des couleurs en collant des bouts de papier. Voici le modèle obtenu. Son article « The geometry of color space » est très intéressant. Plus récemment, certains auteurs ont même calculé la courbure de l’espace des couleurs.

Mais pour convaincre le lecteur que des mathématiciens différents peuvent avoir des idées différentes sur les variétés, Henri Paul recommande de visionner cette conférence de M. Gromov : What is a manifold ?.


[1On dit qu’il y a trois sortes de mathématiciens : ceux qui savent compter jusque deux et ceux qui ne savent pas.

[2Sullivan, Dennis, On the intersection ring of compact three manifolds. Topology 14 (1975), no. 3, 275–277.

[3Attention à ne pas confondre. Il s’agit de Heinz Hopf (1894-1971) et non pas de Eberhard Hopf (1902-1983). Eberhard est un cas unique d’un mathématicien allemand, en poste aux USA qui a décidé de rentrer en Allemagne en 1936, dans le sens opposé du flux de mathématiciens à cette époque.

[4S. Novikov∗ : Henri Poincaré and XXth Century Topology, Proceedings of the Symposium Henri Poincar ́e (Brussels, 8-9 October 2004)

[5(Homologie (chimie)) En chimie, un homologue est un composé qui appartient à une série de composés qui ne diffèrent des autres que par le nombre de répétition d’une unité, comme un pont méthylène −CH2−, un résidu peptidique, etc